Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/64

Cette page n’a pas encore été corrigée
54
revue philosophique

tous les philosophes qui ont examiné le sujet de près ont déclaré qu’on ne postulait la substance qu’à titre de support des phénomènes, de lien qui réunisse un groupe ou une série de phénomènes qui sans cela n’auraient pas de connexion ; faisons donc abstraction du support ; supposons que les phénomènes restent, et sont unis ensemble dans les moines groupes et les mêmes séries par une autre force, ou sans le secours d’une force quelconque, mais par l’effet d’une loi ; il n’y a plus de substance, et pourtant nous voyons se dérouler toutes les conséquences au nom desquelles on avait admis la substance. Les Hindous croyaient que la terre avait besoin d’un éléphant pour la supporter ; mais la terre tournait, parfaitement capable de se supporter elle-même « suspendue en équilibre à son centre ».

En résumé, l’unité du moi est la donnée d’un phénomène de conscience ; ce phénomène est produit par les phénomènes de conscience qui précèdent, c’est-à-dire qu’il est en relation de cause à effet ou de succession invariable avec eux. Eux étant donnés, il se produit, de même que certaines sensations même successives étant produites, il en résulte une conception de l’unité qui comprend ces sensations, ce qui arrive par exemple quand nous faisons le tour d’une maison. Ici, comme dans le moi, les sensations successives servent à construire une notion générale qui comprend l’idée d’unité.

Mais, dira-t-on, le moi n’est pas seulement objet dans le fait de conscience, il est aussi sujet, et il se connaît comme sujet. Ce que j’ai dit plus haut suffirait, je crois, pour réfuter cette objection : Qu’est-ce que se connaître comme sujet ? Il est bien évident que, si le moi est connu, il est objet de connaissance, puisque nous appelons objet de connaissance ce qui est connu, — s’il était sujet seulement, le sujet étant ce qui connaît, il ne serait pas connu, s’il est sujet et objet, — il est connu comme objet de la connaissance, non une sujet. C’est donc une illusion de la conscience que cette croyance au moi absolument sujet ; et cette illusion s’explique. Elle s’explique facilement en empruntant des analogies au monde matériel. Nous appelons sujet ce qui reçoit une action, nous disons que tel corps est le sujet sur lequel on a fait des expériences. Le sujet ce sur quoi nous travaillons, ce qui est modifié, arrangé, etc. Eh bien, quand nous disons que le moi est le sujet de la connaissance, cela s’explique tout simplement ainsi : le moi est modifié par la connaissance. La connaissance est une modification du moi. Et, le moi étant a noire point de vue une série de faits de conscience groupés selon certaines lois, la phrase revient à ceci : La série de faits de conscience est modifiée par l’adjonction à cette série d’un nouveau fait