Salviani, Gesner, Vesale et Servet, et bientôt Aselli et Harvey allaient découvrir, l’un les vaisseaux chylifères, l’autre la grande circulation du sang. Enfin le chancelier Bacon, s’inspirant des découvertes de ses contemporains, avait célébré dans un langage impérissable la dignité de la science et de la nature.
Mais que de restes d’une façon de penser près de disparaître se mêlaient encore à ces pensées nouvelles ! Pour les hommes de la Renaissance, Montaigne excepté, l’affranchissement n’avait guère été qu’un changement de maître. Libres des liens de la scolastique, les esprits s’étaient abandonnés à d’autres liens, comme par habitude de l’esclavage. Les savants eux-mêmes, à l’exception de Galilée, cet esprit ferme et juste, qui, si Descartes n’avait pas paru, serait tenu pour l’initiateur de la pensée moderne, étaient encore obsédés par des imaginations d’un autre âge, qui altéraient leurs découvertes les plus exactes ; enfin de ces découvertes partielles ne s’étaient pas encore dégagées une vue distincte de l’unité et du but de la science, une méthode applicable à tous les ordres de recherches.
Saisir l’esprit et le fixer dans ses propres voies, inaugurer une façon de penser sans rapports, au moins apparents, avec les spéculations des siècles passés, rallier en un système unique, animé d’une pensée commune, les fruits épars d’une science naissante, multiplier ces fruits, en produire de nouveaux et d’imprévus, par une méthode à la prise de laquelle rien n’échappe de ce que l’esprit humain peut connaître, voilà ce que devait être l’œuvre de Descartes, ce génie incomparable, vers lequel converge et duquel émane à la fois toute la science de son temps.
Cette œuvre est immense ; elle comprend tout : les sciences mathématiques, les sciences de la nature, celle de l’homme et celle de Dieu. De quelque côté qu’on l’aborde et qu’on y pénètre, on est conduit, en la parcourant, à travers toutes les sciences, car toutes les parties en sont liées comme les pièces d’un organisme. Mais si l’on veut en saisir la raison séminale, comme disaient d’antiques philosophes, il faut d’abord la considérer dans son germe.
Le germe de la philosophie cartésienne, et, dans ce mot, nous comprenons au même titre la métaphysique et les sciences proprement dites, est la méthode. Descartes lui-même nous en avertit en maint endroit de ses ouvrages. En quoi consiste donc la méthode cartésienne ? Quelle en est l’essence ? Quels en sont les procédés ? Quels en sont les caractères ?
L’intuition de la méthode, par laquelle il allait renouveler et multiplier le savoir humain, semble avoir surgi spontanément dans l’esprit de Descartes. Elle lui apparut, à la suite de longues médi-