pre d’esprit et de talent. Mais à côté de l’homme et de l’écrivain il y avait le penseur, le philosophe, et c’est de celui-là seul que M. Ferraz a voulu s’occuper. Voilà pourquoi il reste toujours impartial et impassible, mesurant avec équité l’éloge et le blâme, notant le vrai chaque fois qu’il le rencontre, n’hésitant jamais à indiquer l’erreur et à la condamner chaque fois qu’il en trouve l’occasion. Ici, l’on n’a point affaire à un ami ou à un admirateur : on est en présence d’un témoin et d’un juge.
En histoire, il n’y a pas que les grands noms qui aient droit à notre souvenir : les rôles secondaires, quand ils sont bien tenus, méritent attention. M. Ferraz n’aura garde de les oublier. Peut-être, cependant, eût-il bien fait d’oublier Ballanche. C’est une belle âme, j’en demeure d’accord avec tous ceux qui l’ont vu de près ; mais c’est à peine un esprit.
Bûchez est moins sympathique que Ballanche : comme lui il n’a laissé que des ébauches ou des projets de doctrine. Les socialistes pourraient à certains égards le réclamer comme un des leurs, et pourtant M. Ferraz l’avait réservé pour son second volume. En effet, Bûchez est un croyant catholique. Mais, partagé entre ses croyances et ses aspirations, il ne sait jamais prendre parti. Celui-là encore méritait à peine une citation, et c’est grande générosité de lui avoir accordé un chapitre.
L’abbé Bautain est plus près de nous que ceux dont il nous était parlé tout à l’heure : et cependant il n’est guère notre contemporain. Faire l’histoire de ses idées, c’est, ou peu s’en faut, faire l’histoire de ses erreurs. Il est curieux d’apprendre que presque rien n’est digne de survivre à un homme qui a tout fait pour tout savoir (il était cinq fois docteur) et qui a fait beaucoup pour être original. Bautain est spiritualiste, mais d’un spiritualisme où la raison est dépouillée en faveur de la foi. Avec Bautain on se rapproche du traditionalisme de Bonald, mais sans trop s’écarter des problèmes de l’ordre spéculatif. Cela n’empêcha point l’éloquent abbé d’avoir des démêlés avec Rome : le Saint-Siège s’est ému de son catholicisme intempérant. Le bon sens et la sagacité lui firent d’ailleurs assez souvent défaut ; sa psychologie expérimentale, entre autres, est l’œuvre d’une imagination qui ne connaît point de règle ; on y trouve plus que des erreurs, je veux dire des bizarreries, des étrangetés. M. Ferraz en a saisi quelques-unes au passage et elles ne sauraient passer inaperçues.
L’œuvre du Père Gratry semble mieux faite pour durer, non que tout en soit solide, mais la doctrine est plus saine. D’abord on ne songe plus comme tout à l’heure à démanteler la raison : tout au contraire on la veut pour guide. Gratry est l’adversaire implacable des ennemis de la raison, théologiens ou philosophes, sophistes comme il les appelle. Il lutte contre Hegel, au nom d’Aristote et du principe de contradiction ; il lutte avec force, éclat et talent, et ses ai juments contre le panthéisme donnent à penser. Plus jeunes, nous avons cédé par ins-