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vement, comme, suivant l’heureuse expression de Bain, « penser c’est se retenir de parler ou d’agir », il n’est pas possible à l’analyse seule d’établir des séparations tranchées entre ces trois éléments. Il me semble cependant que cette mémoire des signes vocaux et écrits qui survit chez l’aphasique intelligent représente bien ce qu’on a appelé la parole intérieure, ce minimum de détermination sans lequel l’esprit serait en voie de démence ; et que par conséquent ce sont les éléments moteurs qui sont seuls éteints dans l’oubli.

En interrogeant les médecins bien peu nombreux qui ont étudié la psychologie de l’aphasie, je trouve que leur thèse ne diffère pas sensiblement de la nôtre, sauf dans les termes. « Je me suis demandé, dit Trousseau, si l’aphasie n’est pas tout simplement l’oubli des mouvements instinctifs et harmoniques que nous avons tous appris dès notre première enfance et qui constituent le langage articulé ; et si, par cet oubli, l’aphasique n’était pas dans les conditions d’un enfant qu’on instruit à bégayer les premiers mots ; d’un sourd-muet qui, guéri tout à coup de sa surdité, s’essaye à imiter le langage des personnes qu’il entend pour la première fois. Il y aurait alors entre l’aphasique et le sourd-muet la différence que l’un a oublié ce qu’il avait appris et que l’autre ne sait pas encore. » (Ouvrage cité, p. 718.) — De même Kussmaul : « Si l’on considère la mémoire comme une fonction générale du système nerveux, il faut, pour que les sons soient combinés en mots, admettre à la fois une mémoire acoustique et une mémoire motrice. La mémoire des mots se trouve ainsi être double : 1o il y en a une pour les mots en tant qu’ils sont un groupe de phénomènes acoustiques ; 2o il y en a une autre pour les mots comme images motrices (Bewegungsbilder). Trousseau a fait remarquer avec raison que l’aphasie est toujours réductible à une perte de la mémoire soit des signes vocaux, soit des moyens par lesquels les mots sont articulés. W. Ogle distingue aussi deux mémoires verbales : une première, reconnue de tout le monde, grâce à laquelle nous avons conscience du mot ; et en outre une seconde, grâce à laquelle nous l’exprimons. » (Ouvrage cité, p. 156.)

Faut-il admettre que les résidus qui correspondent à une idée, ceux qui correspondent à son signe vocal, à son signe graphique, aux mouvements qui traduisent l’un et l’autre, sont voisins dans la couche corticale ? Quelles inductions anatomiques peut-on tirer de ce fait qu’on perd la mémoire des mouvements sans celle des signes intérieurs, la parole sans récriture et l’écriture sans la parole ? Les résidus moteurs sont-ils localisés dans la circonvolution de Broca, comme quelques auteurs semblent l’admettre ? On ne peut que poser ces questions, qui d’ailleurs ne sont pas de notre compétence.