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Cette amnésie dépend-elle, comme nous l’avons dit, surtout des éléments moteurs ? En établissant plus haut l’existence nécessaire de résidus moteurs, nous n’avons pas examiné le problème dans toute sa complexité. Il faut y revenir.

Lorsqu’on nous apprend à parler notre langue maternelle ou une langue étrangère, il y a des sons, des signes acoustiques qui viennent s’enregistrer dans notre cerveau. Mais ce n’est qu’une moitié de notre tâche. Il nous faut les répéter, passer de l’état réceptif à l’état actif, traduire ces signes acoustiques en mouvements vocaux. Cette opération est fort difficile à l’origine parce qu’elle consiste à coordonner des mouvements fort compliqués. Nous ne savons parler que lorsque ces mouvements sont facilement reproduits, c’est-à-dire que les résidus moteurs sont organisés.

Quand nous apprenons à écrire, nous fixons les yeux sur un modèle : des signes optiques viennent s’enregistrer dans notre cerveau ; puis, avec beaucoup d’efforts, nous essayons de les reproduire parles mouvements de notre main. Ici encore, il y a une coordination de mouvements très délicats. Nous ne savons écrire que lorsque les signes optiques sont traduits immédiatement en mouvements, c’est-à-dire quand les résidus moteurs sont organisés.

Les mêmes remarques sont applicables à la musique, au dessin, aux gestes appris (ceux des sourds-muets par exemple). La faculté expressive est plus complexe qu’elle ne paraît. Les idées ou les sentiments pour se traduire ont besoin d’une mémoire acoustique (ou optique) et d’une mémoire motrice. Quelle raison avons-nous de soutenir que c’est surtout cette mémoire motrice qui souffre dans l’amnésie des signes ?

Voici ce qui se passe chez la plupart des aphasiques. Présentez-leur un objet vulgaire, un couteau. Donnez à cet objet des noms inexacts (fourchette, livre, etc.). Dénégation de leur part. Enoncez le mot propre. Geste d’affirmation. Si vous les priez de le répéter immédiatement, bien peu en sont capables. Ils ont donc conservé non seulement l’idée, mais le signe acoustique, puisqu’ils le reconnaissent entre plusieurs et l’arrêtent au passage. Comme ils sont incapables de le traduire par la parole et comme les organes vocaux sont intacts, il faut bien que l’amnésie porte sur les éléments moteurs.

La même expérience peut être faite en ce qui concerne l’écriture ; chez les aphasiques qui ne sont pas paralysés, elle conduit aux mêmes résultats et à la même conclusion. Le malade a conservé la mémoire des signes optiques ; il a perdu la mémoire des mouvements nécessaires pour les reproduire. Quelques-uns peuvent copier ; mais, dès que le modèle leur est enlevé, ils restent impuissants.