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lui commande de créer les êtres dans le malheur. On ne peut pas nier que ce ne soient là deux lacunes métaphysiques considérables. La philosophie la plus haute vise d’abord à expliquer les choses en elles-mêmes ; quand elle ne peut pas donner cette explication suprême, elle descend d’un étage et s’efforce d’expliquer au moins les rapports des choses. Ni l’une ni l’autre de ces philosophies ne se trouve dans Leopardi, puisqu’il ne détermine ni la nature, ni les relations de la nature avec l’humanité.

Mais reste le destin que Leopardi semble placer au sommet de son système. Ce destin renferme peut-être en lui-même l’explication dernière. Le poète nous en donne-t-il une idée philosophique ou seulement précise ? Est-il le vieux fatum de la mythologie, est-il le malin et puissant génie de Descartes, tiré pour la circonstance de son état d’hypothèse ? Est-ce une force aveugle, immanente au monde, ou une propriété de la matière, quelque chose comme la pesanteur des atomes ou l’attraction moléculaire ? Est-ce le hasard de Lucrèce ou la nécessité intelligente des Stoïciens ? Leopardi ne se prononce pas. Mais il est certain que son destin doit être la moins philosophique de toutes ces conceptions, car il est entouré d’un mystère tout mythologique et d’un vague fabuleux. Le poète a besoin que cette puissance reste impénétrable, et le philosophe subit la conception du poète. Il n’a pas même pris garde que cette continuité du mal dans le monde, sans relâche et sans exception, peut indiquer une intention et une volonté tout autant que l’optimisme. Cette entente de toutes les forces de la nature pour engendrer uniquement la douleur est aussi belle, au point de vue esthétique, abstraction faite de la qualité morale de l’œuvre, que l’harmonie pour le bien. L’unité du plan est aussi parfaite, l’exécution aussi admirablement exacte ; et le résultat n’est que trop rigoureux, puisque le mal est universel. Pourquoi n’y aurait-il pas là une fin, mauvaise sans doute, mais une fin pourtant poursuivie avec un art, qui serait, dans le pessimisme, la beauté, et une science qui serait la vérité ? Leopardi préfère jeter sur la cause première de l’Infelicità un voile de poésie et un nom mystérieux. Il en fait une véritable cause occulte, qu’il dérobe sous cette vieille appellation insignifiante ou puérile de fatum, contemporaine d’une crédulité anti-philosophique. Si bien que ce penseur moderne eût peut-être, avec sa superstition du destin, fait sourire Épicure et indigné Lucrèce. La notion du hasard est en effet plus philosophique que celle du fatum, et, dans l’ordre d’évolution de l’idée pessimiste, Leopardi e^t en retard sur les atomistes anciens.

Mais, dira-t-on, n’est-il pas contradictoire de reprocher à Leopardi