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auxquels l’ordre de nos représentations donne naissance. Leur origine est donc empirique. Ce sont des faits. Mais ce sont les faits les plus généraux de l’expérience, et ils possèdent par là même une sorte de nécessité d’intuition, en ce sens qu’un temps ou un espace, doué d’autres propriétés que celles que nous connaissons, n’est pas représentable et, si l’on ne veut pas être dupe des mots, n’est pas même pensable. Quant à la « chose », elle se distingue de la Substance, en ce qu’elle n’est pas un objet immuable à propriétés constantes, mais un complexe de phénomènes changeants. Deux conditions seulement sont nécessaires pour que le concept de Chose se produise : la première est que les phénomènes nous soient donnés, c’est-à-dire soient indépendants de notre pensée ; la seconde est que les phénomènes, par la manière même dont ils changent, montrent une certaine connexion. Un complexe de phénomènes, pour mériter le nom de chose, doit, en variant, rester distinct des autres complexes avec lesquels il entre en rapport, et il faut, d’un autre côté, que les changements qu’il subit naissent les uns des autres. M. Wundt appelle ces conditions l’indépendance dans l’Espace et la continuité dans le Temps[1]. Le concept de Chose est donc absolument indépendant du concept de Substance. C’est un concept de l’expérience vulgaire, qui se forme spontanément chez tout être pensant, tandis que le concept de Substance n’a été formé que très tard et par la Pensée, scientifique.

Le concept de Chose ou d’Objet suffit à la conscience simple, car la conscience simple prend les phénomènes pour des réalités, et n’éprouve jamais le besoin de rien chercher derrière les complexes de phénomènes changeants, que les sens nous font percevoir. Seule la Pensée scientifique, c’est-à-dire la Pensée Logique appliquée à cette expérience, dans son travail constant pour établir entre les données de l’expérience une connexion parfaitement intelligible, peut se demander si l’expérience et les concepts qui en sont directement tirés suffisent pour rendre compte de la liaison des phénomènes. Si leur insuffisance est démontrée, la Pensée a, comme nous l’avons vu, le devoir d’y suppléer par la création d’un concept nouveau. Ce concept sera celui de la Substance.

La science a d’abord emprunté à la philosophie le concept tout formé que celle-ci lui offrait, mais son propre développement devait la conduire tôt ou tard à former par elle-même ce concept. La seule considération du passage des corps d’un état à un autre la forçait d’admettre un substrat non phénoménal qui permît de relier entre

  1. Die räumliche Selbständigkeit und die zeitliche Stetigkeit.