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nous baignions. S’étudiant eux-mêmes, ils examinèrent en premier lieu leurs plus élémentaires instruments de science, c’est-à-dire leurs organes sensibles, mesurant la véracité de chacun d’eux, soupesant toute impression perdue, poursuivant pas à pas la certitude. Partout ils retrouvaient l’esprit, invisible et présent ; organes, sensibilité, conscience leur parurent autant de transformations d’une même pensée et comme autant de dépendances d’une même faculté de concevoir. Ils finirent par où les premiers avaient débuté et reconnurent que le monde est seulement susceptible d’une explication idéale. On peut donner à ces psychologues le nom d’idéalistes à posteriori.

Par un contraste remarquable, c’est à la positive Angleterre que revient le monopole de cette forme d’idéalisme. À la même époque, presque dans les mêmes parages, trois penseurs, à peine connus l’un de l’autre, semblèrent s’être donné le mot pour rendre à la philosophie de l’esprit tout son éclat. Ce n’est pas que l’on ne puisse retrouver certaines influences générales auxquelles il soit permis d’attribuer une aussi soudaine concordance. Il est bien certain, par exemple, que les écrits platoniciens d’un Henri More ne contribuèrent pas médiocrement à ramener à l’ontologie ancienne des esprits effrayés par le sensualisme grandissant. D’ailleurs, la superbe métaphysique cartésienne commençait à se répandre en Europe. Malebranche ne l’avait pas seulement parée des grâces de son imagination ; il en avait encore allégé les formules et spiritualisé les lois. Grâce à d’ingénieux commentaires théoriques, il l’avait préservée de tout antagonisme avec les dogmes religieux. Les œuvres de Malebranche servirent en Angleterre de sauf-conduit au cartésianisme. Ce pays, tout délivré qu’il se prétendait de la servitude pontificale, était demeuré même alors étroitement dévot. Quand on sut que la philosophie nouvelle n’était en rien l’ennemie de la foi, les plus défiants se rassurèrent. On s’arracha le livre de La recherche de la vérité ; on le commenta ; on l’imita. De ce livre, on peut le dire, est sorti l’idéalisme anglais.

Les trois philosophes anglais qui s’inspirèrent du brillant cartésien ont joui d’une renommée bien inégale. Le nom de Berkeley éclipse de beaucoup les deux autres, et l’évêque de Cloyne a pris rang, à juste titre, parmi les plus ingénieux métaphysiciens dont les temps modernes s’honorent ; quant au pauvre recteur de Bemerton, l’obscurité est devenue son partage : que d’érudits ignorent même qu’il a existé un Jean Norris ! Reste enfin Arthur Collier, dont le nom est demeuré synonyme de scepticisme fou et que les bons Écossais ont accablé de leurs traits moqueurs. Ainsi la postérité se