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pour un jour où l’état plus avancé de la science permettra de découvrir le rapport caché de ce phénomène avec les autres. Mais la Pensée n’exige pas seulement qu’un fait observé ne contredise pas un autre fait : elle prétend de plus établir entre toutes les données de l’expérience une coordination continue[1], faute de laquelle elle ne saurait les penser. Un complexe, une série constante de phénomènes par exemple, est inintelligible, tant que notre esprit ne s’est pas rendu compte du lien qui tient ces phénomènes unis. Ainsi la présence de qualités différentes, comme la couleur, le poids, dans un même corps, reste un mystère, tant que nous n’avons pas réussi à relier l’un à l’autre ces caractères de nature différente. Cette tendance constante de la Pensée ne constitue pas, suivant M. Wundt, une propriété spéciale et indépendante de l’esprit humain. Elle trouve sa raison d’être dans les fonctions logiques et dans les axiomes logiques auxquels ces fonctions donnent naissance, particulièrement dans le « Principe de Raison. » Le Principe de Raison est, en effet, le principe de la dépendance des concepts les uns des autres, de la liaison parfaitement intelligible des idées. Vis-à-vis de l’expérience, ce principe prend la valeur d’un postulat, qui nous permet d’exiger que tout fait nouveau soit réductible à une connexion intelligible et continue des phénomènes. Cette connexion existe réellement ; il s’agit moins de la créer que de la découvrir, et le Principe de Raison, qui porte en lui-même une nécessité d’intuition, est plutôt un guide pour trouver une réalité existante qu’un modèle dont nous nous servirions pour créer un ordre qui n’existerait pas encore. Il y a pourtant des cas où la Pensée doit créer ; mais, ce qu’elle crée alors, cène sont pas des connexions nouvelles de phénomènes, ce sont des moyens de rétablir les connexions réelles, quand les simples données de l’expérience deviennent insuffisantes pour les découvrir. Il faut, dans ces cas nombreux, que la Pensée supplée à l’insuffisance de l’expérience ; et elle le fait en créant des hypothèses qui, d’abord, ne prétendent pas correspondre, au moins dans tous leurs éléments, à des réalités, mais qui, en attendant une connaissance plus approfondie et plus exacte des faits, rendent l’expérience intelligible et satisfont, provisoirement au moins, aux exigences de la Pensée Logique. Ainsi, par l’hypothèse mécanique de l’électricité, la physique prétend non pas rendre compte de l’essence de l’électricité, mais ramener à l’unité scientifique et relier entre eux tous les phénomènes dits électriques. Deux conditions sont nécessaires pour la formation des hypothèses ; la Pensée doit en premier lieu se servir des faits constatés, et, en second

  1. Einen lückenlosen Zusammenhang.