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parmi des êtres moraux, parmi des êtres qui ont conscience de ces relations, qui s’y sentent soumis dans leur for intérieur et qui s’y conforment autrement que ne fait l’animal ou la plante aux lois de la nature ? Nous ne concevons le droit que dans le règne humain, et par là nous ne le concevons qu’entre des âmes. Non pas que le droit exige une profession de foi rigoureusement spiritualiste. Le positiviste, le matérialiste lui-même admettent des actes intérieurs, des actes intellectuels et moraux, pour lesquels ils emploient comme les philosophes spiritualistes et comme le vulgaire, le nom d’âme, en dépouillant ce nom de toute signification métaphysique. Ils reconnaissent ainsi, en dépit de leurs négations et de leurs réserves, une sphère de l’âme et ils peuvent l’étudier avec toute l’exactitude scientifique. Cette sphère de l’âme, de quelque façon qu’on l’entende, est celle du droit ; il ne peut en être arraché.

Ajoutons enfin que le droit suppose toujours des devoirs correspondants. Si ma propriété, si ma liberté, si mon honneur sont pour moi des droits, c’est que les autres hommes ont le devoir de respecter ma propriété, ma liberté et mon honneur. Si l’autorité paternelle est un droit, c’est, d’un côté, que les enfants ont le devoir de se soumettre à cette autorité et, de l’autre, que tous les hommes ont également le devoir d’en respecter l’exercice. Si l’État, par ses lois pénales et par ses tribunaux, a le droit de réprimer certains actes, c’est un devoir pour les coupables d’accepter le châtiment qu’ils ont encouru et pour tous les citoyens de ne pas entraver l’action légale et au besoin de lui prêter main-forte. Tous les devoirs qui correspondent à des droits forment la catégorie de ces devoirs de droit, que Kant distingue des devoirs de vertu. Ils appartiennent sans contredit à la morale, ils en forment une des grandes divisions : celle qui se résume dans le nom de justice. Par ces devoirs, le droit pénètre évidemment dans la morale : il reste à établir comment il s’en distingue.

Le juste appartient tout ensemble à la morale et au droit. Dans la première, il concerne les personnes à qui il impose des devoirs ; dans le second, les personnes envers qui existent ces devoirs, ou, en d’autres termes, pour qui ces devoirs sont des droits. De cette distinction des personnes découle toute la différence des deux sciences.

La morale embrasse tous les éléments, toutes les conditions, toutes les circonstances des actes qui sont l’objet de ses commandements ou de ses défenses. Elle ne s’attache pas seulement à des cas particuliers ; elle étudie l’ensemble de la conduite humaine, toutes les qualités naturelles ou acquises de l’agent moral, toutes les influences du milieu social dans lequel se manifeste et se développe