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par elle. Le premier devoir de la politique est de respecter le droit naturel, et l’un des objets principaux du droit naturel est de juger la politique, de l’approuver ou de la flétrir, suivant qu’elle est juste ou injuste. Mais la justice n’est pas tout dans la politique ; il y faut la esse, la prudence, l’habileté, la connaissance et le maniement des hommes, l’exacte appréciation de tout ce que demandent les circonstances et les divers intérêts sociaux. Le droit naturel, de son côté, n’a pas rempli toute sa tâche quand il a fait prévaloir la justice dans la politique ; il étend son domaine au delà des relations et des actes que régissent les législations positives et les gouvernements constitués ; il règne proprement dans cet état de nature qui se maintient partout à côté et au-dessus des États particuliers ; il est le législateur de la société universelle du genre humain.

Il y a un double danger à confondre la politique et le droit naturel ; on transforme toutes les questions de politique en des questions de droit ou toutes les questions de droit en des questions de politique. Ce sont ces deux écueils que le judicieux historien de la Science politique dans ses rapports avec la morale, M. Paul Janet, désigne par les noms de Platonisme et de Machiavélisme. Où l’un ne voit que des droits, l’autre n’admet que des intérêts. Pour certains esprits absolus, tout est de droit divin : la forme du gouvernement, la législation civile ou pénale, l’administration intérieure, les traités internationaux. Et, comme il n’est pas de matières qui se prêtent moins à des règles uniformes, on ne voit partout, dans la diversité des institutions et des politiques, que spoliation, persécution ou tyrannie. Rien n’a plus nui au droit naturel que ces appels hors de saison au sentiment de la justice, qui sont devenus trop souvent des appels à la révolte et à la guerre civile ; mais l’excès contraire n’a pas moins déconsidéré la politique. Beaucoup ne voient dans la politique qu’un jeu sans moralité, où il ne s’agit que d’être le plus fort ou le plus habile et où toutes les injustices se font non seulement excuser, mais admirer, quand elles sont au service de grands desseins et que le succès les a couronnées. Le bon sens public d’un côté, la conscience publique de l’autre protestent contre ces deux façons exclusives d’entendre le droit et la politique. Elles n’appartiennent d’ailleurs qu’aux esprits extrêmes, et il est peu de philosophes, de publicistes et d’hommes d’État qui les aient franchement avouées. En les plaçant sous l’autorité de l’auteur de la République et de l’auteur du Prince, M. Janet reconnaît que ni Platon ni Machiavel ne les ont professées sans réserve. Elles se retrouvent cependant dans bien des théories, avec des tempéraments qui en dissimulent plutôt qu’ils n’en corrigent les effets, et ces effets se montrent à chaque page dans l’histoire de