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grandeur poétiques. » Mais quel sens ont ces mots dans une pareille doctrine ? Dire que c’est une nécessité de notre organisation psychique n’avance à rien. C’est toujours le subjectif opposé à l’objectif. Si tout cela se passe dans l’âme, il y a donc deux sources de certitude subjectives, l’une pour la science, l’autre pour le beau et l’art, toutes deux immédiates. Mais, par là même, elles ne peuvent se comparer ; elles sont incommensurables.

La conclusion est que, au lieu d’améliorer Kant, cet hypercriticisme à moitié réaliste, à moitié mystique, dogmatise. Il vante comme la plus haute connaissance scientifique le maintien de sa propre impossibilité. Peut-on d’ailleurs accorder une valeur réelle à une théorie obligée de postuler une mesure qu’elle n’a pas, et qui la trouve dans la pureté poétique, en même temps qu’elle nie la possibilité de rien connaître en ce genre scientifiquement ?

VII. Quant à l’esthétique de Deutinger, que M. Neudecker, son disciple tardif et posthume, vante beaucoup, qu’il propose comme modèle à suivre dansla nouvelle direction caractérisée par le terme de réalisme idéaliste (Realidealismus) adopté aujourd’hui en Allemagne par plusieurs esthéticiens, nous n’en dirons que quelques mots. D’abord nous doutons, par les motifs exprimés plus haut, qu’il réussisse à convertir à son admiration ses lecteurs allemands. Pour nous, nous confessons n’avoir trouvé rien de bien original ni de fécond dans l’œuvre de ce penseur méconnu et oublié. Deutinger a voulu, lui aussi, fonder l’esthétique sur une base réaliste. Y a-t-il réussi ? Pour en juger, il faudrait nous livrer à un examen qui dépasserait les limites déjà trop étendues de cet article. Indiquons au moins le principe. Son réalisme idéaliste roule sur deux activités que l’esprit saisit en lui immédiatement par la conscience. C’est ce qu’il appelle le Geistigeinmittelbare. Ces deux activités, l’une sensible ou extérieure, l’autre spirituelle ou intérieure, bien qu’opposées dans l’homme, sont unies par un lien qui rétablit leur unité et leur identité. La nature humaine offre ce double aspect de la liberté et de la nécessité. La conscience de la liberté, unie à celle de lu dépendance, crée une autonomie qui est aussi hétéronomie. De cette double source dérivent tous les actes humains, leurs lois, leurs rapports. Il en est de même de la vie esthétique comme produisant le beau et le sentiment. L’homme qui sent le beau ne le perçoit pas dans son existence immédiate, mais dans son expression. Le beau signifie quelque chose. De même, l’homme qui produit le beau lié à la matière doit exercer sa puissance sur elle ; autrement il cesse de produire, etc. « La vie esthétique trouve ainsi son explication comme étant une des activités émanant de ce principe à la fois sensible et spirituel, libre et non libre, possible et nécessaire dans une action réciproque et mutuelle. »

Nous ne prétendons nullement avoir ainsi fait connaître cette doctrine ; mais nous avouons ne pas trop saisir ce qu’elle a d’original, et nous n’entrevoyons pas sa fécondité. Nous [croyons y reconnaître le