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Toutefois le droit naturel ne s’est constitué comme une science distincte que dans les temps modernes. Il a sa place dès l’antiquité, dans les traités de morale, de politique et de jurisprudence ; mais, avant le xvie siècle, il ne peut revendiquer aucun ouvrage qui lui appartienne en propre. Les traités de droit naturel se sont multipliés depuis le xvie siècle, et quelques-uns ont eu pour auteurs les plus illustres philosophes ; mais ils sont loin d’avoir fondé une science parfaitement définie et nettement circonscrite. Aujourd’hui encore, il n’est pas de science plus contestée, non seulement dans ses théories, mais dans son objet même.

Le droit naturel porte la peine du rôle prépondérant qu’il a joué dans la Révolution française. « Les droits de l’homme et du citoyen, » voilà, depuis 1789. le mot d’ordre de toutes les revendications révolutionnaires en France et dans le reste du monde ; voilà aussi le perpétuel sujet d’alarmes de tous ceux dont ces revendications ont troublé les intérêts ou trompé les espérances. La cause du droit naturel se confond ainsi avec la cause de la Révolution, et elle en acquiert une grandeur nouvelle ; mais c’est une grandeur périlleuse, qui compromet son caractère scientifique et son intérêt universel pour en faire un des aliments de l’esprit de parti et des passions politiques.

Le droit naturel est le bien commun de tous les hommes sans distinction de partis, de classes, de nationalités. Si la Révolution l’a revendiqué en 1789 contre les abus de l’ancien régime, elle a vu plus d’une fois ses adversaires le revendiquer à leur tour contre ses propres excès. De nos jours comme au temps de nos pères, il est peu de questions, soit de législation ou de jurisprudence, soit de politique intérieure ou extérieure, où n’intervienne, à côté du droit écrit, du droit consacré par les lois ou par les traités, quelque thèse bien ou mal fondée de droit naturel.

Et il en a toujours été ainsi. L’humanité n’a pas attendu les livres de droit naturel, la philosophie du xviiie siècle et la Révolution française, pour se faire, sous des formes plus ou moins pures, un idéal de justice et pour comparer à cet idéal les institutions et les actes des diverses sociétés entre lesquelles elle est partagée. Le trait original de la Révolution française, ce qui a fait à la fois sa grandeur et sa faiblesse, a été la prétention de réaliser d’un seul coup, sur tous les

    venir violet. Un moment après vinrent les cris aigus ; tous les signes du résument, de la fureur, du désespoir de cet âge étaient dans ses accents. Je craignis qu’il n’expirât dans cette agitation. Quand j’aurais douté que le sentiment du juste et de l’injuste fût inné dans le cœur de l’homme, cet exemple seul m’aurait convaincu. (Émile, livre I.)