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d’un travail qui n’a jamais été fait sous sa forme complète et auquel on pourrait donner pour titre : « Des maladies et des aberrations de la personnalité. » Il nous sera très difficile de ne pas glisser à chaque instant dans ce sujet. J’essayerai de n’en dire que ce qui est indispensable pour la clarté de l’exposition.

Je serai sobre de faits : ils sont assez connus. L’étude des cas appelés « de double conscience » est fort à la mode. L’observation si détaillée et si instructive du D’Azam, en particulier, a fait comprendre au public mieux que toute définition en quoi consiste l’amnésie périodique. Je me bornerai donc à passer en revue les cas principaux, en allant de la forme la plus parfaite d’amnésie périodique aux formes qui n’en sont guère que l’ébauche.

I. Le cas le plus net, le plus ferme, le plus complet d’amnésie périodique est celui qui a été rapporté par Macnish dans sa Philosophy of sleep et qui depuis a été souvent cité. « Une jeune dame américaine, au bout d’un sommeil prolongé, perdit le souvenir de tout ce qu’elle avait appris. Sa mémoire était devenue table rase. Il fallut tout lui rapprendre ; elle fut obligée d’acquérir de nouveau l’habitude d’épeler, de lire, d’écrire, de calculer, de connaître les objets et les personnes qui l’entouraient. Quelques mois après, elle fut reprise d’un profond sommeil, et, quand elle s’éveilla, elle se retrouva telle qu’elle avait été avant son premier sommeil, ayant toutes ses connaissances et tous les souvenirs de sa jeunesse, par contre ayant complètement oublié ce qui s’était passé entre ses deux accès. — Pendant quatre années et au delà, elle a passé périodiquement d’un état à l’autre, toujours à la suite d’un long et profond sommeil… Elle a aussi peu conscience de son double personnage que deux personnes distinctes en ont de leurs natures respectives. Par exemple, dans l’ancien état, elle possède toutes ses connaissances primitives. Dans le nouvel état, elle a seulement celle qu’elle a pu acquérir depuis sa maladie. Dans l’ancien état, elle a une belle écriture ; dans le nouveau, elle n’a qu’une pauvre écriture maladroite, ayant eu trop peu de temps pour s’exercer. Si des personnes lui sont présentées dans l’un des deux états, cela ne suffit pas : elle doit, pour les connaître d’une manière suffisante, les voir ! dans les deux états. Il en est de même des autres choses[1]. »

En laissant de côté, pour le moment, ce qui concerne l’alternance des deux personnalités, il faut remarquer qu’il s’est formé ici deux mémoires complètes et absolument indépendantes l’une de l’autre. Ce n’est pas seulement la mémoire des faits personnels, la mémoire

  1. Macnish dans Taine, De l’intelligence, t. I, p. 130 ; et dans Combe, System of Phrenology, p. 173.