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e. beaussire. — du droit naturel.

si ces principes, si ces conceptions sont d’un autre ordre que les faits eux-mêmes, ce n’est que dans les faits qu’ils trouvent leur application. Or, ici, il n’y a qu’un seul genre de faits : soit qu’il s’agisse de politique, d’économie politique, de morale ou de droit naturel, le sujet commun est l’homme en société, l’homme engagé avant sa naissance même dans certains liens avec ses semblables, dont il ne peut jamais, dans la conduite de sa vie, dans la direction de ses sentiments et de ses pensées, dans ses actes les plus intimes et les plus personnels, se dégager entièrement. Il n’est donc pas permis de sortir des faits sociaux, si l’on ne veut pas se perdre dans les abstractions et dans les vaines hypothèses ; mais le même genre de faits peut donner lieu à des recherches très diverses. Dans l’étude de la nature, tout se ramène aussi à un seul genre de faits : toutes les sciences entre lesquelles se partage cette étude emploient sur les mêmes matières les mêmes moyens d’investigation, et leurs progrès les plus récents tendent à rapprocher, sinon à identifier leurs domaines. Qui voudrait cependant supprimer la distinction de ces sciences et les confondre dans l’histoire naturelle ? La sociologie n’est pas autre chose que l’histoire naturelle des sociétés. Elle étudie, dans la complexité de leurs éléments, dans tout ce qui constitue leur réalité concrète, les diverses sociétés humaines, comme l’histoire naturelle étudie les différentes classes d’êtres, et, de même que l’histoire naturelle, elle souffre à côté d’elle des sciences plus abstraites, qui se distinguent d’elle-même et se séparent les unes des autres par le choix de leurs points de vue au sein des mêmes réalités. La politique, l’économie politique, la morale, le droit naturel usent en effet à l’égard des faits sociaux des mêmes procédés d’abstraction que la physique, la chimie, la biologie à l’égard des phénomènes de la nature. Elles en brisent la complexité, elles les dégagent de l’ensemble de leurs conditions pour ne s’attacher qu’à certains ordres de questions, qu’elles s’efforcent d’amener, en les simplifiant, au plus haut degré d’exactitude et de clarté.

Sans doute l’abstraction ne peut être poussée aussi loin dans les sciences sociales que dans les sciences de la nature. Les faits qu’embrassent ces dernières ont une fixité qui permet de les décomposer sans en altérer les éléments. Les mêmes propriétés, mathématiques, physiques, chimiques, biologiques, sont partout les mêmes et suivent les mêmes lois dans tous les corps où on peut les observer. La même fixité est loin de se rencontrer dans les sociétés humaines. Sous quelque aspect qu’on les envisage, elles manifestent une diversité et une mobilité qui se prêtent difficilement à des théories abstraites et à des lois absolument générales. Il faut donc, dans les sciences