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a. debon. — localisations psychologiques

prouvé[1], le fait de l’effort volontaire et moteur est le fait primitif par excellence : « Nous ne pouvons en admettre aucun autre avant lui dans l’ordre de la connaissance, et nos sens externes eux-mêmes, pour devenir les instruments de nos premières connaissances, des premières idées de sensation, doivent être mis en jeu par la même force individuelle qui crée l’effort. » Ce fait est aussi le plus simple de tous les rapports, « puisque toutes nos perceptions ou représentations extérieures s’y réfèrent comme à leur condition primitive essentielle, pendant qu’il n’en suppose aucune avant lui et qu’il entre dans toutes comme élément formel ». Le jugement d’extériorité, ajoute le philosophe français, repose sur lui comme sur sa base propre et n’en est lui-même qu’une extension. La genèse de l’idée d’extériorité et d’étendue, on le montrera plus tard, commence avec le premier acte d’effort moteur, autrement dit avec le premier mouvement actif du corps ou de ses organes. Tant que cette exertion initiale n’a pas eu lieu, tant que l’impression n’a été suivie que de mouvements réflexes accompagnés de sensations confuses, indistinctes, l’organisme vivant de l’enfant ou de l’animal est senti, mais n’est point perçu et connu à titre de chose étendue et divisée en parties diversement mobiles : la conscience n’est alors que la sensibilité animale la plus obscure, et le corps, malgré sa masse, n’existe même pas comme point. C’est l’effort moteur ou le mouvement volontaire qui, pour la conscience, oppose à la multiplicité de l’objet l’unité du sujet, et amène à l’existence les différents ordres d’impressions externes, comme l’impulsion du Νοῦς d’Anaxagore, qui tirait tout du chaos par un travail d’infinie désagrégation et d’infinie recomposition.

Une action discontinue exercée du dehors sur un même point du corps, le sujet restant inerte, ne produirait jamais au dedans qu’une succession de sensations non synthétisées ; une action continue sur un ou plusieurs points simultanément déterminerait une sensation continue et toujours confuse ; une légère impression discontinue faite sur une même ligne continue de la surface corporelle, sans réaction motrice du moi, ne serait encore perçue que sous la forme d’une série de sensations, sans lien synthétique. C’est seulement lorsque le moi, sortant de son inertie, meut un point quelconque du corps, le doigt, l’œil ou le bras, que l’idée de dehors ou d’autre, non d’espace, s’insinue dans l’esprit : quelques conditions de plus, et cette notion d’étendue apparaîtra. Répondons d’avance à une

  1. Voy. Fondements de la psychologie, introduction générale, p. 48 (Œuvres inédites de M. de Biran, publiées par E. Naville).