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INTRODUCTION A L’ÉTUDE

DU DROIT NATUREL


I


L’hypothèse d’un état de nature antérieur à l’état social a longtemps servi de point de départ à la science du droit naturel. Cette hypothèse est justement décriée aujourd’hui. Non seulement elle ne repose sur aucun fondement historique ou philosophique, mais elle est entièrement vide. Elle ne présente à l’esprit que l’idée toute négative d’un état d’anarchie, sans lois, sans chefs, sans une organisation quelconque. Les philosophes ont pu y mettre les idées les plus opposées : les uns la guerre de tous contre tous, les autres la paix et la félicité de l’âge d’or. Ils ont fabriqué de toutes pièces cet état chimérique, au gré des conséquences qu’ils voulaient en tirer, et, si leurs théories valent quelque chose, c’est par elles-mêmes, non par leur principe.

Tout cependant n’est pas chimère, ou même pure hypothèse dans la conception de l’état de nature. Un tel état, entendu dans son vrai sens, a sa place réelle et manifeste, dans le présent comme dans le passé, chez toutes les races humaines, à tous les degrés de la civilisation. On ne s’est trompé qu’en le séparant de l’état social. Il n’y a pas entre ces deux états succession historique : partout ils apparaissent comme coexistant et se pénétrant mutuellement, alors même qu’ils sont opposés et en lutte. « Les sociétés humaines, a dit éloquemment Royer-Collard, naissent, vivent et meurent sur la terre. Là s’accomplissent leurs destinées, là se termine leur justice imparfaite et fautive, qui n’est fondée que sur le besoin et le droit qu’elles ont de se conserver. Mais elles ne contiennent pas l’homme tout entier. Après qu’il s’est engagé à la société, il lui reste la plus noble partie de lui-même, ces hautes facultés par lesquelles il s’élève à