Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/104

Cette page n’a pas encore été corrigée
93
revue philosophique

à des individus d’espèces différentes ; » qu’enfin, avant l’emploi prédominant du langage verbal, il exprime ainsi et saisit lui-même des rudiments d’idées.

Dans un chapitre très instructif sur les « sons et bruits articulés de l’homme », M. Zaborowski explique, d’après les recherches de Kratzenstein, de Kempelen, de Willis et de Ch. Wheatstone, le mécanisme de la phonation chez l’homme. Cette étude, où l’on retrouvera la classification anatomo-physiologique des sons articulés présentée par le Dr Coudereau à la Société d’anthropologie de Paris, intéressera au plus haut degré le lecteur. Il nous est malheureusement impossible d’en donner un abrégé.

Le langage humain existe donc, en idée pour ainsi dire, hors de l’homme dans la nature animée. L’homme, œuvre de suprême délicatesse, résume en lui les efforts et les tendances de celle-ci, mais avec une indélébile originalité qui le place en dehors même de la nature créée et en fait le continuateur de la Physis créatrice. Par sa pensée consciente, ouvrier à son tour, il façonne, transforme, embellit en artiste ces matériaux informes laissés à l’état d’ébauches par l’animal le plus industrieux. Il crée la parole au même titre et pour les mêmes raisons que plus tard la poésie et la métaphysique. Certes, en présence des rapprochements si justes, si lumineux que la science zoologique nous découvre entre les dons de l’animal et les facultés de l’homme au point de vue spécial du langage, on est forcé de reconnaître que du premier au second il n’y a qu’une différence de degré ; mais, à bien entendre les manifestations indissolublement liées de l’esprit, depuis le plus humble échelon jusqu’à la plus haute perfection de l’art, si l’on remonte à la source, cette différence de degré est bien une différence de nature. Le transformisme pur et simple, tout mécanique, n’est pas plus de mise ici qu’en zoogenèse : ce qui se produit selon les lois d’une évolution en apparence fatale, nécessaire, irrésistible, est au fond le résultat d’une merveilleuse sélection, à la fois naturelle et idéale, dont l’esprit est le moteur, l’agent invisible.

Ces réserves faites, il y a un grand intérêt à suivre, autant du moins que cela est possible, l’élaboration des matériaux primitifs, interjections et sons imitatifs, d’où sort la parole ailée, vibrante. Trois conditions concourent à cette création vraiment humaine : le milieu physique, le milieu social, et les réactions spontanées de l’individu. Comment ? En élargissant, en perfectionnant le matériel phonétique primitivement si incomplet : aux cris réflexes succèdent les cris émotionnels d’ordre plus complexe ; aux cris émotionnels s’ajoutent les modulations de la voix, de l’accent, ce « chant étouffé », selon le mot de Cicéron ; aux émissions de voix spontanées se joignent les imitations vocales et musicales. À l’aurore de son existence historique, c’est par ce lambeau d’imagination créatrice que l’homme ne se confond pas avec les anthropoïdes les plus élevés, originairement supérieurs si l’on veut, mais en apparence et pour un temps. De ce point de vue, on com-