Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, X.djvu/103

Cette page n’a pas encore été corrigée
93
analyses. — zaborowski. De l’origine du langage.

veloppement. « L’homme sent sa parole avant de parler sa pensée, » faudrait-il dire, en modifiant un aphorisme célèbre. Et l’explication a une singulière importance : du moment où le mot n’a par origine aucune signification nécessaire et intelligible pour tous, le langage verbal a dû être précédé d’un langage immédiatement accessible et praticable à l’individu et à la communauté. Or la facilité d’entendre et d’employer le langage d’action vient de ce qu’il ne suppose à ses débuts aucun acte d’intelligence attentive et réfléchie : il est un fait de sensibilité réflexe chez qui remploie d’abord, et il agit par voie de sympathie communicative sur quiconque est à portée de le percevoir. Voyez l’enfant pleurer, rire, prendre un air étonné, attristé ou sérieux, selon la mine ou les gestes que vous lui faites. Voilà l’homme primitif, si voisin de l’animal. L’usage réfléchi ou délibéré des gestes, des cris et des sons articulés est postérieur ; dans le principe, il est spontané et presque inconscient. « Un petit enfant fait comprendre ses besoins, dit Darwin, d’abord par des cris instinctifs, puis par des mots vagues inventés par lui-même, puis par d’autres plus précis imités de ceux qu’il entend, et ces derniers il les acquiert avec une vitesse merveilleuse. »

Avec une profonde intelligence du sujet, M. Zaborowski remarque que « l’expression de la physionomie et l’attitude du corps ne sont pas seulement des composantes indispensables du langage articulé ; elles en sont aussi des déterminatrices… C’est pour ainsi dire l’état musculaire lui-même, visible, tangible et, comme on dit, parlant. La voix n’est qu’un produit et un résultat entièrement dépendant de cet état. » À ce propos, il n’est pas inutile d’observer qu’en fait les sons articulés ne sont point l’apanage exclusif de l’homme. Les oiseaux, les mammifères supérieurs, les batraciens ont leurs articulations sonores à l’état d’ébauche. Le bœuf, l’âne, le chien, le coucou, le coq, la tourterelle, le canard, n’ont-ils pas leurs émissions de voix articulées ? On connaît le chant des grenouilles si bien traduit par Aristophane : βράχεχε κοάξ κοάξ. Les indigènes et les colons de l’Amérique du Sud, qui ne connaissent point les noms techniques de l’ornithologie, désignent les oiseaux de leur pays par leurs cris ou leurs chants : Macaga (Falco cachinnans), Kouroupi (Xanthornus Aurantius), Caracara (Polyborus Brasiliensis). Des observateurs ingénieux ont pareillement essayé de transcrire le chant du rossignol, du hibou. L’homme n’a en privilège qu’une gamme de sons plus étendue, et encore cette gamme si riche à nos yeux est-elle en plusieurs cas singulièrement réduite. Témoin l’alphabet des Néo-Zélandais, dépourvu de douze consonnes usitées chez nous. De cet ensemble de faits patiemment amassés de divers côtés et dont nous ne donnons ici qu’une idée très incomplète, M. Zaborowski conclut judicieusement que l’homme a sur l’animal l’avantage de pouvoir étendre beaucoup plus loin, par l’exercice, l’habitude et l’imitation, le fonds d’ailleurs très pauvre de ses articulations phonétiques ; que par ce moyen « il arrive à exprimer ses sentiments et à les communiquer non seulement aux individus de même espèce, mais encore