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« Ainsi sarp était le nom du serpent avant de signifier ramper, etc. L’ordre de dérivation, suivi jusque-là, de racines abstraites de sens général à des mots de sens particulier et concret, est donc précisément l’inverse de ce qui a dû avoir lieu. » Suivant une heureuse expression du savant cité tout à l’heure, ces types phonétiques de la langue aryenne « sont, avec les mots grecs, latins ou sanscrits, à peu près dans le même rapport que les idées platoniciennes avec les objets du monde réel. » En second lieu, cette langue-mère elle-même, retrouvée par voie d’analyse, a subi, à des époques indéterminées pour nous, des modifications profondes ; elle a emprunté des vocables à ses devancières ou à ses voisines. La preuve, c’est qu’on y constate « des doublets antérieurs à la séparation des idiomes, des formes jumelles qui sont la trace de dialectes antiques, germes de dialectes nouveaux. Elle-même est née d’un langage agglutinant, et le père de cet aïeul, le monosyllabisme primitif, pouvait être un frère du chinois. » Ces merveilleux résultats sont dus, M. Zaborowski nous l’apprend, « aux observations concordantes de tous les ethnographes sur les langues inférieures ». Avec combien de raison n’a-t-on pas assimilé aux sciences naturelles cette science d’un organisme intellectuel à fonctions progressivement intégrées et essentiellement modifiables !

« Les racines, arrachées de leurs nuages majestueux, déchues des grandeurs idéales dont on les entourait, ne nous laissent-elles pas maintenant clairement voir comment on peut arriver jusqu’à elles, en ne partant que des interjections et des sons imitatifs, comme le voulait M. Max Müller, pour que le problème fût résolu ? » Il le sera en effet, si nous pouvons remonter du langage mimique ou émotionnel de l’homme au langage rationnel. Or c’est un fait que les mouvements du corps et du visage sont le moyen fondamental d’expression commun à l’homme et aux animaux voisins : le langage humain, si indépendant qu’il paraisse, est parti de là. L’emploi du geste chez les sociétés inférieures ou sauvages, l’importance que prend chez elles le jeu de la physionomie le prouvent bien. Les tribus sauvages du Brésil, les Tasmaniens, les Groënlandais, plusieurs tribus d’Indiens usent autant du langage d’action que du langage phonétique pour se faire comprendre. « Les Bushmans augmentent leur langage de tant de signes qu’ils ne sont pas intelligibles dans l’obscurité, et quand ils désirent causer la nuit ils sont obligés de se rassembler autour de leurs feux. Les Arapahos de l’Amérique septentrionale, selon Burton, possèdent un vocabulaire si incomplet, qu’ils peuvent à peine se comprendre dans l’obscurité. » En conséquence, et après un curieux énoncé des preuves, M. Zaborowski considère le langage d’action non seulement comme la base et le fondement de tous les autres moyens d’expression, mais comme leur complément fatal et nécessaire. Le lien naturel de ce langage, directement avec les sentiments et les pensées de l’homme, secondairement avec sa parole, lui paraît avec raison expliquer comment le langage se cou, mimique, s’interprète et se reproduit à cet étage infime de son dé-