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analyses. — zaborowski. De l’origine du langage.

éléments essentiels du problème. De l’aveu des linguistes les plus circonspects, la solution est trouvée et démontrée.

La clef de la question est l’idée d’une évolution lente, progressive, infiniment variée et complexe du langage articulé, à partir des origines les plus modestes et des formes les plus voisines du langage des animaux supérieurs. C’est ce que M. Zaborowski appelle « l’explication naturaliste », dont Epicure, Lucrèce, Herder, de Brosses ont été les initiateurs. Mais ce qui n’était pour ces grands esprits qu’une intuition de génie est devenu de notre temps une vérité positive, grâce aux travaux de linguistes tels que Schleicher, Curtius, Bréal, Max Müller, Steinthal, et de zoologistes ou d’ethnographes comme Darwin, Jäger, Houzeau, Tylor, Lubbock.

Laissons de côté toute idée préconçue. L’analyse des langues littéraires a depuis longtemps ramené les vocables de ces langues à des éléments simples, générateurs de l’organisme phonétique : les racines. Il y en a quatre ou cinq cents à la base des vocabulaires les plus riches. On sait depuis les travaux de Guillaume Schlegel que ces éléments anatomiques du langage rationnel sont tantôt à l’état d’isolement (langues monosyllabiques), tantôt à l’état d’agglutination simple (l. polysynthétiques), tantôt enfin à l’état d’agglutination composée ou d’amalgamation (l. à flexion). Comparez l’intégration progressive des organismes, d’abord réduits à une simple juxtaposition de cellules ou même unicellulaires. Il s’est fait dans les langues aujourd’hui parlées un travail d’évolution, d’intégration et de différenciation semblable depuis l’apparition primordiale des racines.

Ces phonèmes monosyllabiques, centre de formation de tous les mots d’une langue, la linguistique, il y a vingt ans encore, n’osait les expliquer. Un savant autorisé les déclarait l’œuvre d’un instinct primitif de l’homme, instinct depuis longtemps atrophié et disparu. C’est ici que nous est venu en aide un auxiliaire précieux, la méthode comparative appliquée aux langues barbares, encore à l’état de nature. Dès les premiers pas faits dans cette voie, on s’aperçoit que s’arrêter aux racines, c’est faire comme un zoologiste qui s’arrêterait aux espèces actuellement constituées et les déclarerait nées miraculeusement du sol. La période évolutive parcourue par le langage depuis la fixation des racines n’est qu’un instant en comparaison de la période antécédente et préhistorique, ou phase de formation de ces mêmes racines. Grâce aux belles recherches de M. Michel Bréal[1], on doit tenir aujourd’hui pour certain que les quelques centaines de mots restitués de la langue mère indo-européenne ne sont point les éléments primitifs de cette langue dans leur pureté originelle, et qu’ils sont loin d’avoir donné, comme on l’a cru jusqu’alors, une valeur significative générale aux mots où ils entrent comme racines. Ces racines, issues d’appellatifs concrets, ont pris un sens abstrait en passant par la forme du verbe.

  1. Voy. Mélanges de mythologie et de linguistique, Paris, 1878.