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paulhan. — l’erreur et la sélection

général, et en s’éveillant il s’écria : « Mes amis, nous sommes minés[1]. »

On pourrait citer beaucoup d’exemples de cette nature, et, c’est un fait que chacun peut constater, nos rêves déterminent souvent la perception partielle et l’interprétation sensorielles des excitations extérieures qui arrivent jusqu’à nous.

Parmi les illusions d’optique fréquentes et qui persistent quelquefois longtemps, il faut citer encore le mouvement apparent dont semblent animes les arbres et les champs quand on voyage en chemin de fer et l’illusion inverse. En regardant couler sous un pont une rivière assez rapide, je pouvais à volonté me figurer que c’était le pont qui se déplaçait et sentir l’impression du mouvement. Il y a bien dans ces deux cas la double opération que nous avons déjà reconnue, la sélection ; car il faut, pour que cette illusion se produise, que quelques excitations ne soient pas perçues, et le réveil des tendances laissées par les expériences antérieures, qui causent l’interprétation des phénomènes perçus est également nécessaire.

Remarquons que dans ces deux cas il n’y a pas erreur au sens ordinaire du mot, car en général nous savons qu’il y a deux images au stéréoscope, et nous n’ignorons pas si c’est nous qui nous déplaçons ou si c’est l’objet que nous regardons. Une illusion fort curieuse que cite M. Delbœuf, et qu’il explique par un jugement inconscient[2], peut se rapprocher des précédentes.

Deux ouvertures sont pratiquées dans le volet d’une chambre obscure : l’une d’elles laisse passer la lumière blanche ; l’autre, grâce à une vitre colorée, ne laisse pénétrer que la lumière rouge. On place un corps opaque sur le passage des rayons lumineux. Deux ombres se projettent sur la paroi opposée à la fenêtre. L’une ne reçoit aucun rayon rouge, elle sera blanche ou grise ; l’autre sera éclairée par la lumière rouge seulement. Elle paraît rouge en effet, mais la paroi semble rouge pâle, et l’autre ombre, vert intense. Si l’on enlève la vitre rouge, cette dernière redevient grise. Mais si l’on regarde avec un tube qui laisse voir l’ombre seulement, sans les bords, l’ombre parait verte, même quand on enlève la vitre rouge et qu’on la remplace par une autre vitre de n’importe quelle couleur. Si l’on écarte le tube de façon à voir les bords quand la vitre rouge est enlevée, l’ombre paraît grise. Si l’on replace le tube de manière à ne voir que l’ombre, on continue à la voir grise ; la vitre rouge est-elle replacée, l’ombre reste grise et redevient verte si l’on écarte

  1. Ad. Garnier, Traité des facultés de l’âme, I, 476.
  2. Delbœuf, La psychologie comme science naturelle, p. 58.