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paulhan. — l’erreur et la sélection

nerveux, elles les exciteront moins vivement et elles seront moins aperçues par la conscience. Les différences, au contraire, tout en déterminant moins facilement les mouvements moléculaires nerveux, occasionneront des faits de conscience plus vifs. Il y a d’ailleurs plusieurs raisons pour qu’il en soit ainsi. D’abord elles auront, de la part des excitations habituelles (ressemblances[1]), une concurrence moins forte, parce que ces dernières, grâce à leur facilité d’adaptation, n’exigent plus que l’emploi d’une faible partie des forces nerveuses. D’autre part, étant plus difficilement reçues que les autres par les centres nerveux, les excitations moins habituelles (différences) occasionneront, à un degré plus grand que les autres, ce trouble intime, ce mouvement moléculaire qui accompagne la conscience[2]. On s’explique ainsi comment la loi générale est toujours vraie, comment les ressemblances agissent plus facilement que les différences, bien que les dernières soient quelquefois mieux aperçues par la conscience.

Un fait à remarquer, c’est l’extrême importance de la constitution psycho-organique acquise ou héritée pour tous les faits qui rentrent à quelque degré dans le domaine de la psychologie. L’excitation actuelle est la cause occasionnelle du fait de conscience qu’elle amène, et l’on peut la comparer au mouvement du doigt qui fait partir un coup de fusil et chasse au loin la balle, ou bien au mouvement de la touche du piano, qui, grâce à l’arrangement des diverses parties de l’instrument, produit le son musical. Il y a toutefois cette différence que le système nerveux a peut-être été formé par une accumulation infinie d’expériences soumises, elles aussi, à la loi de sélection. On peut dire que ce n’est pas tant l’impression présente qui cause un fait de conscience, que la longue série d’impressions passées enregistrées par nous et nos ancêtres ; et tous les faits de l’ordre psychologique paraissent déterminés par une concurrence entre les excitations externes, les tendances, les résidus, différemment groupés, s’aidant ou se combattant selon les circonstances. C’est là ce qu’il faut montrer à posteriori, par l’expérience, après avoir essayé de l’établir à priori, par les lois connues de la psychobiologie.

  1. Il s’agit, bien entendu, des ressemblances entre une excitation présente et les excitations qui antérieurement ont été les plus fréquentes.
  2. Il ne faudrait pas conclure de là que le phénomène physiologique qui accompagne la conscience en est réellement la cause ou même la condition. La logique conduirait plutôt, je crois, à la théorie contraire, d’après laquelle l’esprit serait la cause de la matière ; mais je ne puis insister ici sur ce point.