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cette gloire de Vérone, Fracastor[1], lui prennent le temps qu’il ne donne pas à la poursuite du plaisir, à ses amis et à ses maîtresses. Il ne faut pas que la gravité de ses lectures nous fassent oublier son âge et son caractère. Avec toute la gaîté napolitaine, il a toutes les fougues et toutes les passions de la jeunesse. Même, la chaleur de son sang n’est pas sans avoir part à la direction de ses études. S’il était encore de mode de commenter Aristote, tous les physiologistes de vingt ans feraient comme lui leurs commentaires sur le Traité de la génération. Il n’a pas là-dessus de fausse honte. Il faut l’entendre déclarer, avec quelle malice ! qu’il a fait vœu de garder sa chasteté[2] ! Et quant à sa soutane, elle ne l’embarrasse guère. Il connaît l’art des intrigues galantes, et comment celle qu’on aime, pour peu qu’elle sache par cœur quelques mots de latin, s’avertit sans danger d’aller au rendez-vous[3]. Sa chère Laure en saurait bien que dire[4], et aussi cette gentille Isabelle, qui entendait si mal les chansons d’amour, et qui boudait, et qui se fâchait tout rouge, quand il l’appelait son œil gauche, — le meilleur, suivant Aristote, petite ignorante ! — comme si vraiment elle n’était pas assez bonne pour être un œil droit[5] !

En même temps qu’il dépouillait ainsi l’arbre de la science, il faisait des expériences d’un autre genre, celles-ci un peu au hasard et pour le plaisir d’expérimenter. On ne s’explique pas trop pourquoi il avait mis une anguille dans un vase de verre exposé au soleil. Mais enfin, l’anguille étant là, il s’appliquait à l’observer, si bien qu’il s’aperçut un jour que de la bave qu’elle répandait dans l’eau s’engendrait une multitude de vers et d’animalcules[6]. Il ne prononce pas, on le pense bien, le nom de génération spontanée ; mais il croyait à la chose, cela est évident. Jean-Marie Genocchi, un étudiant génois, son ami intime, y croyait aussi. Celui-là n’était pas un esprit aventureux, au contraire, car il finit par composer un traité de la grâce et du libre arbitre[7] ; mais au moins ne s’émouvait-il qu’à bon escient. Que des milliers d’êtres naquissent sans parents de la substance d’une anguille, cela pouvait émerveiller Vanini, non pas lui. Il avait vu, lui, bien autre chose. Il avait vu au printemps, par un jour d’orage, une goutte de pluie tomber dans la poussière et se changer tout d’un coup en grenouille[8]. Cinq ou six ans après, l’auteur des Secrets de la nature riait encore de ce bon conte et raillait sans pitié le pauvre Genocchi[9]. Il ne l’en aimait pas moins,

  1. De arcan., p. 311, 371.
  2. De arcan., p. 176.
  3. De arcan., p. 407.
  4. De arcan., p. 159.
  5. De arcan., p. 298.
  6. De arcan., p. 199.
  7. Amphith., p. 303, 304.
  8. De arcan., p. 201.
  9. De arcan., p. 360.