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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

ments font la besogne de l’Inquisition, non par horreur de l’Inquisition, mais par jalousie de métier. Cachant donc à l’ordinaire sa tête sous son bouclier, il ajoute : « Voilà de belles horreurs, sorties, comme d’un germe, des subtilités de notre philosophie. Je les déteste volontiers par respect pour l’Église et par attachement à la religion chrétienne. Que dis-je ? je les détestais dans mon cœur, tandis que je les pensais pour amuser mon esprit. »

En lisant ces pages d’une témérité si sereine, on ne peut s’empêcher de penser aux soupirs d’angoisse du pauvre Jouffroy dans cette nuit célèbre où il découvrit, lui aussi, comment les dogmes finissent. Quel contraste de cette âme tendre, qu’offense l’inévitable lumière de la raison et qui gémit de l’apercevoir, à l’esprit fort et sans peur du jeune philosophe napolitain ! La religion de la nature[1], au pied de laquelle l’homme des temps nouveaux tombe comme accablé, Vanini l’embrasse avec amour. On dira qu’il le faisait ou que du moins il croyait le faire sans péril. Mais ici la force consistait moins à braver l’Inquisition qu’à soulever la masse solide de souvenirs d’enfance, d’exemples domestiques, de préjugés, de traditions, d’autorités de toute sorte, sous laquelle devait fléchir l’âme de Pascal, sœur de celle de Jouffroy ; à rejeter l’appui des religions sacerdotales, à s’isoler en esprit du reste du monde. C’est précisément cette intrépidité de conviction qui élève Vanini au rang des philosophes, non sa constance, puisqu’il n’a pas voulu du martyre[2], ni sa doctrine, car il n’a rien pensé de lui-même. Si l’on peut donner le nom de théories aux bigarrures d’opinions qui se voient dans ses ouvrages, ses théories sont toutes d’emprunt. Il ne s’en cache pas ; aussi ne prétend-il pas être un génie original. S’il se croit un mérite, c’est celui de s’écarter du ruisseau banal de l’ordure scolastique[3] et d’aller puiser ses idées à des sources peu connues et peu fréquentées[4]. S’il est un art qu’il prise, c’est celui d’ôter ses épines à la science pour la rendre accessible aux curieux de la cour et de la ville, et de faire qu’elle soit amusante, surprenante… Retournons à Padoue.

À présent que l’on connaît bien Vanini, on ne s’étonnera pas que Cardan et Pomponace ne fussent pas seuls à le divertir des cours de l’Université. Il pousse des pointes du côté d’Albert le Grand[5] et de Corneille Agrippa[6]. Hippocrate et Galien après Aristote, et

  1. De arcan., p. 366.
  2. De arcan., p. 183, 184.
  3. Amphith., p. 211.
  4. De arcan., p. 3, 4, 35.
  5. Amphith., p. 37. 39, 40, 273 ; De arcan., p. 227, 422, 431. etc.
  6. Amphith., p. 171.