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fouillée.Influence de l’idée de liberté

lesquels nous nous proposons de revenir un jour. Nous montrerons alors qu’il est nécessaire, pour réaliser l’idée de liberté, d’abord de bien concevoir celte idée, en d’autres termes de placer la véritable indépendance où elle est, non où elle n’est pas, puis de déterminer avec exactitude la série de moyens termes par lesquels on peut s’en rapprocher progressivement.

C’est cette idée de progrès ou, si l’on veut, d’évolution, qui t’ait à nos yeux la principale différence entre la conception des idées-forces et le cogito ergo sum de Descartes. Le rapprochement établi par M. Benamosegh entre ces deux doctrines est très ingénieux et a sa vérité. Toutefois, principe et méthode sont bien différents de part et d’autre. Descartes, d’un seul bond, passe de la pensée à l’être, du sujet à l’objet, de l’idée à la réalité. Il suit encore la méthode de l’ancienne ontologie, qu’il se flattait de renouveler. Mais ce passage soudain de la pensée à lame pensante, comme le passage de l’idée de Dieu à la réalité de Dieu ou de l’idée du monde à la réalité du monde, est un jeu logique qui n’atteint pas le fond des choses. Descartes travaille sur des notions qui demeurent idées pures sans pouvoir s’objectiver elles-mêmes. En voulant tantôt identifier immédiatement l’idée et l’être, tantôt conclure de l’idée à l’être comme à sa cause éminente et antérieure (par exemple de l’idée du parfait à l’existence de la perfection), Descartes demeure enfermé dans le subjectif. Il manque un moyen terme entre l’idée et son objet : c’est le mouvement, par lequel l’idée réalise son objet même et devient ainsi une force productrice. Les objets que Descartes plaçait avant les idées comme leurs causes, il faut, selon nous, les placer après les idées comme leurs effets. Descartes espérait fonder toute une philosophie sur la vertu logique de la pensée ; nous croyons qu’on peut fonder toute une philosophie sur la force réelle et motrice, sur la puissance pratique de la pensée. Descartes disait : Je pense, donc je suis ; je pense Dieu, donc Dieu est ; je pense les autres objets, donc ils sont ; en un mot, j’ai les idées, donc déjà les choses existent. — Nous croyons qu’il faut dire : Je pense, donc je deviens ; je pense la perfection idéale, donc cette perfection idéale devient ; je pense les autres objets, donc ils deviennent ; en un mot, j’ai les idées, donc j’ai le commencement des choses et le premier moyen de leur réalisation. Le moi un, identique, impérissable, libre, le Dieu parfait, infini, absolu et absolument libre, les substances de toute sorte en possession de l’être, ce sont là autant d’idéaux, une sorte d’Eden métaphysique que Descartes plaçait derrière nous et qu’il faut placer devant nous. Pour affirmer l’objectivité de la pensée, Descartes faisait appel à je ne sais quelle véracité divine, à je ne sais quelle ga-