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CORRESPONDANCE



L’INFLUENCE DE L’IDEE DE LIBERTE SUR LE DETERMINISME DE NOS ACTIONS


Monsieur le Directeur,

Dans un remarquable article de M. Fouillée, sur la Philosophie des idées-forces, publié dans la Revue philosophique de juillet dernier, l’éminent écrivain cite comme exemple des idées intermédiaires qui servent à relier les systèmes les plus opposés, l’idée de liberté, qui est le trait d’union entre la liberté et le déterminisme, quand on agit sous l’idée de liberté, c’est-à-dire en se croyant libre. Je n’ai point ici à discuter la valeur de cette théorie, et je ne m’en sens pas d’ailleurs la compétence. Je ne puis néanmoins, m’empêcher de remarquer une certaine conformité entre cette théorie et un fait, selon moi, de la plus capitale importance pour la question du libre arbitre.

Je me suis pris quelquefois à remarquer qu’on peut trouver à son aise pour toute détermination un motif quelconque, et donner ainsi raison au déterminisme, sauf un cas seulement, unique en son genre, celui dans lequel on agirait dans le seul but exclusif ou, ce qui revient au même, pour le seul motif de donner preuve de sa liberté. Aucun motif, par exemple, ne me porterait en ce moment à écrire ces lignes, à lever le bras, à me tenir debout ou assis, à écrire gros ou fin. Je fais cependant une de ces actions, rien que pour montrer à moi-même et aux autres ma liberté. Peut-on, même dans ce cas, parler de déterminisme ? Il est évident que, s’il y a motif, il se confond avec la liberté, et les deux systèmes, le déterminisme et la liberté, n’en font plus qu’un seul. Qu’on donne tant qu’on veut un motif à cet acte de liberté pure, le motif qui m’y pousse, ce sera la liberté elle-même ; et plus on insistera sur ce motif, plus on aura démontré l’efficace de la liberté.

C’est un phénomène analogue au doute que Descartes se proposait à lui-même sur sa propre pensée ; ce doute lui-même attestait l’existence de la pensée, parce qu’il ne pouvait douter de son doute.