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philosophe rejette aussi l’hypothèse des êtres intelligents émergeant d’une quatrième dimension de l’espace, et se déclare pour l'hypothèse des spectres. Ce sont bien, pour Ulrici, des âmes de trépassés, capables de reprendre, en tout ou en partie, leur ancienne forme corporelle. Zöllner et ses vénérables collègues, Weber et Fechner, n’ont-ils pas vu apparaître des mains et des pieds au bord de la table à laquelle ils se trouvaient assis ? Ces membres errants ne les ont pas seulement touchés ; ils ont laissé des traces visibles de leur présence en imprimant leurs doigts à la surface d’un vase rempli de farine déposé par Zöllner sous la table ! Aussi bien, à en croire les médiums américains, les apparitions de spectres entiers, les matérialisations, ne sont point rares au delà de l’Atlantique.

Supposons donc, avec Ulrici, continue Wundt, que ces spectres sont les âmes des morts. Ce philosophe, heureux de trouver une confirmation de sa croyance en l’immortalité, s’imagine voir dans ces révélations d’outre-tombe, dans ce commerce des vivants avec les morts, une source vive, jaillissante, de foi morale et religieuse. Franchement, si, dans un autre monde, les âmes des morts étaient telles qu’on nous les dépeint, ce serait à dégoûter les gens de l’immortalité, et Ulrici s’abuse étrangement en proposant à nos méditations des caricatures aussi grotesques. Wundt, qui n’a pu tenir son sérieux jusqu’à la fin de sa Lettre (on le perdrait à moins), s’amuse fort à examiner l’état physique, moral et intellectuel de ces pauvres spectres errants.

En premier lien, ces âmes doivent obéir comme de misérables esclaves à une poignée d’hommes, les médiums, d’origine américaine pour la plupart, qui leur font accomplir une foule d’actions dont l’inutilité et la puérilité sont manifestes ; elles frappent les parquets et les boiseries, elles font tourner les tables, lancent les objets en l’air, remuent les meubles, jouent de l’harmonica ou agitent des sonnettes. Au point de vue mental, si l’on en juge par leurs communications écrites ou orales, leur intelligence doit avoir subi une forte dégénérescence granulo-graisseuse : ce sont propos de déments ou de gâteux. Seul, l’état n)oral des âmes défuntes paraît relativement satisfaisant : tous les témoignages s’accordent à vanter la douceur de leurs mœurs et la politesse de leurs manières. Ont-elles commis quelque incivilité, — comme le jour où, chez Zöllner, elles ont déchiré un paravent, — elles n’ont garde d’oublier de présenter de très humbles excuses à la compagnie, attention touchante et bien digne d’être louée chez des spectres.

Wundt s’est donné la peine, en terminant sa Lettre, de montrer à Ulrici quelles seraient pour les bonnes études les funestes conséquences de pareilles doctrines, si la jeunesse académique prêtait jamais l’oreille à des maîtres aussi dangereux que le célèbre professeur de philosophie. S’il n’existe point de lois naturelles, de lois constantes et invariables, au moins dans la partie du monde que nous observons, il n’y a plus de science. À quoi bon demander à l’investigation scienti-