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rire : Je suis Vanini[1]. Il y a là au fond plus de modestie qu’on n’en voit d’abord. Certes, l’auteur des Dialogues n’est pas humble, mais il n’est pas un monstre de vanité, comme l’ont dit ou répété ceux qui n’ont rien compris au personnage d’Alexandre. La vérité est qu’il avait un sentiment très vif et très présent de ses imperfections et de ses défauts. Il savait très bien tout ce que l’esprit doit aux organes, et il avait ses raisons de n’être pas fort content de son corps. Il n’y a rien moins que de l’orgueil dans le regret qu’il exprime quelque part — comme en riant — de n’être pas un enfant naturel[2]. « Si j’étais né des chaudes étreintes de l’amour (je ne traduis pas, je gaze), je serais beau, dit-il, élégant, robuste ; mon esprit serait sans nuages. Mais, hélas ! je suis fils légitime, et fils, qui plus est, d’un septuagénaire. Mon intelligence est élevée sans doute, et j’ai de la mémoire ; mais qu’en serait-il si mon père n’avait pris soin de réconforter en temps utile sa vigueur épuisée ? J’ai bonne mine, c’est évident, mais je ne suis pas sans infirmités. » Et ailleurs, passim, il nous apprend qu’il a des douleurs[3], qu’il est faible[4], maladif, souvent indisposé, nerveux, chatouilleux[5], irritable, colère[6] ; qu’il n’a pas de trop bons yeux[7] et que la finesse de son odorat[8] est compensée en quelque façon par la mauvaise disposition de son oreille, qui le rend absolument insensible à la musique[9].

Voilà ce que Vanini dit de lui-même lorsqu’il parle en son propre nom. Franchement, ce n’est pas trop se vanter. On ne peut lui contester les dons qu’il s’attribue sans fausse honte, et la justice veut qu’on lui en accorde d’autres qui ont bien aussi leur prix. Ses livres sont là pour témoigner de son culte pour la science, de son amour du travail et de son application. Si sa pensée se dégage lentement des brumes, elle brille dès qu’elle est dehors, sous la transparence d’un style clair et singulièrement facile. Quant à son esprit, — il a beaucoup d’esprit, — je n’ai aucune envie de le comparer à celui de Lucien, comme a fait M. Cousin. Personne, à mon gré, n’a autant d’esprit que Lucien, non pas même son cousin Voltaire. Vanini n’est pas de la famille, ou, s’il en est, ce n’est que de fort loin. Ce qu’il a, lui, c’est la vivacité, la grâce italienne, une ironie trop peu discrète, et, encore une fois, l’enjouement.

Il a bien encore autre chose : une faculté étrange qu’il classe parmi ses qualités, ce qui ne laisse pas que d’étonner un peu. J’y verrais plutôt une maladie propre aux pays d’inquisition et d’univer-

  1. De arcan., p. 409.
  2. De arcan., p. 321.
  3. De arcan., p. 180.
  4. De arcan., p. 494.
  5. De arcan., p. 334.
  6. De arcan., p. 83, 212.
  7. De arcan., p. 298.
  8. De arcan., p. 298.
  9. De arcan., p. 296.