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importante du travail mental, ce qui constitue primordialement l’acte de la pensée, s’accomplit sans participation de la conscience. » Dans un curieux paragraphe, Lewes montre que cette confusion des termes, esprit et conscience, doit être portée au compte de Descartes[1].

La conclusion évidente de tout ceci, c’est que la science psychologique ne saurait plus longtemps se contenter des affirmations du sens intime, et qu’elle doit, à l’exemple des autres branches du savoir humain, devenir une science inductive en se rattachant étroitement à la physiologie. Avec d autres contemporains éminents, surtout Wundt, Lewes, dont on connaît l’ingénieuse hypothèse du « spectre psychologique » (voy. Psych. angl. contemp., 2e  éd., p. 373), tient pour établie l’existence de processus intellectuels, sensationnels et volitionnels inconscients. D’où il suit qu’une psychologie « séparée » exclut par là même une masse considérable de faits d’autant plus instructifs qu’ils sont d’ordre inférieur et moins complexe.


Du reste, qu’on se rassure ; la psychologie ne se laissera pas pour cela absorber par la physiologie. Le contraste entre l’une et l’autre demeure visible : celle-ci laisse à l’arrière-plan ce qui fait l’objet principal de la psychologie, et vice versa. Soit par exemple une série de sensations représentant trois mesures de la IXe symphonie de Beethoven. Si je les étudie en physiologiste, j’en examinerai toutes les conditions objectives dans l’ordre de succession : ondes aériennes de vitesse et d’amplitude déterminées, changements nerveux produits dans l’appareil auditif, excitations du sensorium. L’analyse psychologique suppose tout cela connu ; elle se reporte, elle, aux expériences passées, en raison desquelles chaque note a pris sa place dans l’échelle musicale ; elle révise ces diverses notes et leurs intervalles ; elle rattache l’arrangement total à l’idée de la IXe symphonie ; elle passe en revue les images, les sentiments, les sensations obscures que cette suite de sons éveille dans l’esprit. A propos d’un même événement de l’être sentant, il y a donc deux théories à faire, l’une physiologique et l’autre psychologique. Aucune des deux n’est complète en elle-même. Une théorie de l’organisme et une théorie de l’âme exigent également la combinaison des données objectives et subjectives. « Le physiologiste a des faits de sensibilité à expliquer, et c’est par eux qu’il est guidé dans ses interprétations des processus organiques. Le psychologiste, de même, doit toujours présupposer l’action de processus organiques, puisqu’ils sont les conditions de production des faits qu’il est appelé à classer. » Le malheur est que ces deux sciences sont loin d’être arrivées à maturité par suite de leur déplorable séparation (§ 9, § 21).

L’histoire de la pathologie mentale nous apprend, par analogie, ce qu’il convient de faire. Durant le règne de la théologie et de la méta-

  1. Cette question de la sensibilité générale de l’organisme dans toutes ses parties a pris de nos jours le caractère d’un problème de premier ordre. Il y aura lieu d’y revenir prochainement dans un article spécial.