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saint Thomas[1], on sent qu’il l’avait beaucoup pratiqué. Vanini n’est pas de ces esprits entiers qui ont le respect d’eux-mêmes, instinctif ou raisonné, et qui ne se laissent pas détourner de leur tendance normale. Le naturel est moins fort chez lui que l’appétit de vivre et d’épanouir son activité. — « Jeté par le hasard sur un sol pierreux[2], — la comparaison est de lui, — il y germe, il y enfonce ses pivots ; il croît où les autres meurent ; il ne pousse sans doute que de grêles rameaux, mais il a des rameaux ; il ne se couvre que de pâles fleurs, mais il porte des fleurs. Toute autre sera sa vigueur un jour, — il le dit du moins, — quand il pourra se développer dans une terre riche, mieux appropriée à ses énergies natives. » Mais il a beau dire, il gardera toujours l’empreinte indélébile de la culture monacale. Son intelligence sera faussée, et non-seulement son intelligence, mais son caractère. Il ne se dégagera jamais bien du joug de l’ergoterie. Les questions scolastiques continueront de hanter les avenues de sa pensée. Chose plus grave, il n’aura plus alors le droit de les en chasser ; chose plus triste, il n’y songera même pas. Au moment où sa raison se trouvera libre, le sacerdoce où il s’est engagé[3] lui interdira toute liberté d’examen.

Pour un homme de notre temps, cette situation serait tragique ; elle ne sera que gênante pour Vanini ; il l’envisagera avec calme, et même non sans quelque gaîté. On sent qu’il n’est pas embarrassé d’en esquiver les inconvénients. Avec du savoir-faire, un homme d’esprit peut tout dire : Vanini le croit, et il le prouve. Il est plein de respect et d’admiration pour la sainte Inquisition, cette gardienne de la vigne du Seigneur[4] ; il vénère comme personne le sacro-saint concile de Trente[5]; les huguenots n’ont pas d’adversaire plus déterminé que lui[6] ; il fait à sa mère l’Eglise révérence sur révérence[7]; il n’oublie pas de faire savoir qu’il a eu tel confesseur[8] ; il dira négligemment qu’il a bien supporté le dernier carême, puis il montrera ses cheveux pour avertir qu’ils sont devenus plus noirs par l’usage quotidien de la spinacia, vulgo, des épinards[9]. S’il se met à table en public, — cela lui arrive dans les Dialogues, — il ne manque pas de réciter le bénédicité et les grâces[10]. Aux bons endroits, il se jette avec effusion aux pieds de Paul V, le sérénissime Borghèse, le pontife infaillible, pour le supplier humblement de le

  1. Amphith., avis au lecteur, p. 4.
  2. De arcan., dédicace, p. 2.
  3. De arcan., p. 416.
  4. Amphith., p. 109, 187.
  5. De arcan., p. 493.
  6. Amphith., avis au lecteur, p. 1, et De arcan., dédicace, p. 8, et 349.
  7. Amphith., avis au lecteur, et p. 70, 72, 86, 109, 187, 205, 333, 334, etc ; De arcan., p. 407, 472, etc.
  8. De arcan., p. 217.
  9. De arcan., p. 158.
  10. De arcan., p. 168, 184.