Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/624

Cette page n’a pas encore été corrigée
618
revue philosophique

simplicité, tenons-nous-en au détriplement. Des deux personnages que j’ai m.is dans la maison, l’un porte le nom de moi, l’autre celui d’un non-moi. Le dernier est censé n’avoir encore rien vu, le premier lui fait voir tout. Or, de ces deux individus, y en a-t-il un qui soit de préférence le vrai moi ? Évidemment ils sont moi l’un au même titre que l’autre. De deux émanations du moi, l’une peut donc savoir, l’autre ignorer une même chose. Il n’y a en cela aucun mystère, si ce n’est cet éternel mystère qui enveloppe tous les phénomènes de l’âme.

Ai-je besoin maintenant de revenir au sommeil ? Qui ne voit que, dans le sommeil, ce qui se passe toujours est un dédoublement du moi, puisque le moi réel dort « tout nu dans son lit » et que le moi du rêve est un autre que celui-là, éveillé, habillé, parlant et gesticulant ? Et quant au phénomène qu’on a qualifié de dédoublement, c’est, en dernière analyse, un détriplement du moi. Mais, comme il ne peut exister deux moi en face l’un de l’autre, l’un des deux moi fictifs est nécessairement altruisé, si je puis forger cette expression. L’amateur et le propriétaire étaient bien le même moi. Dans la vie ordinaire, sans doute, le moi est le propriétaire ; mais, dans la vie d’imagination, il n’y a rien d’étrange à ce que ce soit l’amateur.

Cette altruisation est une opération des plus communes, et elle peut être plus ou moins complète. Quand je me rappelle mon enfance, je m’altruise en un enfant ; quand je me rappelle mon ignorance d’alors, je m’altruise en un ignorant. Et tenez — car tout psychologiste est obligé de faire l’aveu même de ses faiblesses s’il croit par là jeter du jour sur quelque problème obscur — je viens encore de m’altruiser : le bon bourgeois, c’est moi.

J. Delbœuf.

Ces lignes étaient écrites quand j’ai reçu la communication de quelques pages où M. V. Egger analyse avec une grande finesse un exemple curieux de dédoublement : le moi apparent énonce une phrase absurde et incohérente, et un pseudo-non-moi qui ne comprend pas demande une explication qu’il ne réussit pas à obtenir. Le lecteur fera chose utile en rapprochant cet articulet et le mien. Il pourra aussi se demander si, dans le songe que je relaie p. 356, la stupéfaction manifestée par la dame allemande en m’entendant énoncer cette énormité que 20 et la moitié de 20 font exactement 37 1/2 n’est pas un signe qu’il me restait encore une lueur de bon sens. D’ailleurs quand, à mon réveil, j’ai cherché à retrouver ce qui avait pu me conduire à faire une addition aussi saugrenue, je remarquai immédiatement que je devais avoir eu dans mon sommeil le sentiment vague de la formation du nombre 37 1/2 qui est égal en effet à 20, plus la moitié de 20 ou 10, plus la moitié de 10 ou 5, plus la moitié de 5 ou 2 1/2.