quelle aurore pour une vie si orageuse et si sombre ! Comme tout cela brille plus tard aux yeux du philosophe, quand il regarde au fond de sa pensée ! Son village de Taurizano lui paraît et il le nomme « la perle de Fanneau du monde[1] ». Ses souvenirs remontent comme des bulles d’air à la surface de sa mémoire. Le voici petit enfant, son amulette de corail au cou[2], — « et qu’on ne raille pas cet usage plus raisonnable qu’on ne pense ! », — picorant les figues qui viennent si douces là-bas dans les sables[3] ou se gorgeant de raisins secs, je ne veux pas dire pourquoi[4]. Ailleurs, il est en train de causer avec sa bien-aimée tante ; elle lui dit que de naître coiffé cela porte bonheur[5]. Pauvre tante Isabelle, elle était bien jolie ! Ailleurs encore, il assiste à la mort de son vieux père. Exalté par la parole du prêtre, frappé de respect pour l’immortalité qui l’attend, le pieux vieillard se jette hors de son lit et répète, sans y penser, bien sûr, le mot de Vespasien : C’est debout que je dois mourir[6].
Et son voyage à Precizio, lorsqu’on y trouva cette Vierge miraculeuse, quelle impression il en a gardée ! Il y avait là un aveugle-né[7] qui y était venu avec son guide : était-ce un petit garçon, ce guide, ou un chien ? Il ne se le rappelle pas bien. Le pauvre homme a fait ses dévotions à la Madone, et puis il s’est endormi. Le lendemain, il se réveille. prodige ! il voit clair, mais il est devenu boiteux. Quand Vanini plus tard a voyagé en Allemagne, un athée a voulu lui faire croire que cet aveugle n’était qu’un drôle avisé, peu soucieux de quitter son heureux état de mendiant, moins encore de gagner son pain à la sueur de son visage, et qui trouvait son profit à raconter aux femmelettes le miracle de la Madone. Mais chansons que tout cela ! La figure de cet homme, le philosophe la voit encore : or, son front, ses cheveux, son teint bronzé laissaient bien deviner qu’à l’heure de sa naissance le Soleil et Vénus étaient dans le signe de la Balance ; donc, ce n’était pas un fourbe, suivant les règles de l’astrologie ! Apercevez-vous la malice italienne ? Italien, Vanini l’est jusqu’à la moelle ; aussi ne peut-il se tenir dans ses Dialogues de parler sa langue maternelle. Elle le suit, dirait-il lui-même, jusqu’en plein Latium. On la voit éclater par places en notes gaies et railleuses sur la gravité du latin[8]. En d’autres endroits, ce sont des souvenirs d’un autre ordre. Son esprit s’éveille. Il commence, bien jeune encore[9], la série de ses