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faisant avec le poing gauche le geste de la menace, et avec la main droite le geste d’envoyer un baiser, les traits prennent à gauche l’aspect de la colère, et à droite celle de la tendresse amoureuse.

À vrai dire, ces suggestions, c’est-à-dire ces idées provoquées par des attitudes, ne sont pas très différentes des autres excitations qui viennent frapper l’esprit des individus endormis et faire naître chez eux des idées et des sentiments. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit du même phénomène : à savoir une idée provoquée par une excitation extérieure, que cette excitation soit un mouvement communiqué aux muscles ou une impression sensorielle. Mais il est nécessaire d’expliquer pourquoi chez les somnambules les suggestions se produisent aussi facilement et avec autant de force d’expression.

Chez les somnambules, il y a un automatisme complet, tel que le patient répond aveuglement, sans résistance, sans volonté à toutes les excitations extérieures. Mais il faut que ces excitations soient d’une nature spéciale ou qu’on provoque l’attention du patient vis-à-vis d’elles. Ainsi, que ses yeux soient ouverts ou fermés, le somnambule ne voit pas ou du moins ne voit que si on l’excite à voir (peu importe d’ailleurs, pour se charger de ce soin, que ce soit le magnétiseur ou une autre personne, quoi qu’en disent les charlatans). L’individu endormi est dans une sorte de stupeur où le moi n’existe plus que si on l’excite à être. L’excitation qui le fera sortir de cette stupeur sera alors toute-puissante, et l’idée, quelle qu’elle soit, provoquée par cette excitation unique, régnera souverainement dans l’esprit. Ainsi, par exemple, qu’on prononce devant une personne endormie le mot de serpent, ou simplement qu’on fasse sur le plancher les zigzags onduleux simulant les mouvements de l’animal rampant, aussitôt l’idée du serpent se présentera, sous la forme d’une image réelle extérieure, à l’esprit du somnambule, et en même temps que l’image du serpent prendront naissance tous les sentiments que cette image peut provoquer. Ces sentiments ne sont pas seulement intérieurs : ils se traduiront par l’attitude du corps, par les traits de la physionomie, exprimant la répulsion, le dégoût, l’horreur.

Une comparaison vulgaire fera bien comprendre pourquoi la suggestion est si puissante : en effet, on peut assimiler la situation d’un individu éveillé à celle du spectateur dans un théâtre. Les lumières, le bruit de l’orchestre, les mille personnes qui l’entourent sont pour son esprit, par l’intermédiaire des sens, d’innombrables excitations qui se corrigent pour ainsi dire l’une par l’autre, en sorte qu’aucune n’est prédominante. Chacune cependant a son rôle et contribue à provoquer l’ensemble des sensations qui animent le