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perez. — l’éducation du sens esthétique

nourrices, aux institutrices, aux couturières, avec une servile imitation des gestes, des attitudes, des inflexions de voix, des formules de conversation, qu’elles ont notés chez les grandes personnes. Ce ne sont là que des jeux, mais qui prédisposent à l’affectation et à la dissimulation. Je ne suis pas absolument d’avis qu’il taille réprimer chez les petites filles la tendance qu’elles ont à imiter, en jouant, leurs mamans : elle est dans la nature. Mais je veux que cette imitation soit faite avec mesure et à propos, qu’elle tourne à leur gaieté, au développement de leurs muscles et de leur intelligence. Par exemple, puisqu’on ne saurait vaincre l’inclination qu’elles ont pour ces amusements, il faudrait laisser agir en elles cet instinct, et leur laisser créer et disposer les instruments de leurs jeux. J’ai remarqué que les petites plébéiennes, quand elles n’ont pas été gâtées au contact de leurs camarades d’école, ont plus d’invention et d’amusement dans les jeux que les enfants des riches. Tandis que leurs frères se font eux-mêmes des chalumeaux, des trompettes, des castagnettes, des cannes, des leviers et divers autres intruments de jeux, ces petites filles n’ont pas de peine à se monter en marmites, en poêlons, en assiettes, en couverts et en couteaux : des morceaux de papier, de bois, de carton, des tessons, des cailloux, tout ce qu’elles peuvent avoir sous la main, représente pour elles ce qu’elles veulent bien lui faire représenter ; ici du moins la part de l’initiative et de la libre fiction est supérieure à celle du plagiat. Je déclare, d’ailleurs, que les filles du peuple ont moins recours que les autres à ces représentations de scènes entre grandes personnes : elles s’amusent plus volontiers avec leurs compagnes qu’avec leurs poupées, en enfants qu’en mamans. Elles jouent aussi beaucoup avec les garçons de leur âge, et c’est tout profit, quand leurs jeux sont surveillés.

Cette délicate et grave question de la poupée a d’autres côtés intéressants. Qui n’a vu des petites filles, d’une sensibilité très vive, prendre si bien au sérieux leur poupolâtrie, qu’elles en étaient obsédées, qu’elles en perdaient l'appétit, le sommeil et la santé ? Les prétendues maladies, les migraines, les blessures, les ennuis de leur tit’fi, les affolaient de pitié et de terreur. J’ai même eu dans mes relations un petit garçon, très garçon sous tous les autres rapports, qui devint maniaque des poupées, sans doute pour n’avoir guère joué qu’avec des petites filles. Quelque poupée qu’on lui achetât, sur ses demandes réitérées, laide ou jolie, petite ou grande, nue ou parée, il s’en improvisait la nourrice tendre et attentive. À table, il voulait la faire manger ; au jardin, au lieu de gambader, il s’asseyait sur un banc, la poupée reposant entre ses bras, comme un enfant qui dort ; il la berçait, la cajolait ; il l’allaitait aussi, disait-il.