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qualités, et peu ou point de défauts ? En psychologue impartial de cet enfant de l’enfant, j’en dois signaler les graves imperfections. Outre que ce jouet ne peut, en aucun cas, satisfaire que très incomplètement les instincts esthétiques de l’enfant, il est d’expérience qu’il les développe dans un mauvais sens.

N’est-ce pas une déplorable faiblesse que celle qui autorise les petites filles à affubler ces petits mannequins anthropoïdes de parures aussi ridicules que celles dont on les affuble souvent elles-mêmes ? Ainsi notre immense débordement de luxe est favorisé chez l’enfant au berceau, et, avec l’instinct de la vanité, celui de l’envie. Toute belle poupée fait une orgueilleuse et mille jalouses. Qu’il me soit permis de raconter une petite scène qui m’émut fort, il y a quelques années. Les petites villageoises de mon pays, soit influence d’une habitude héréditaire, soit imitation des habitudes bourgeoises, ont quelquefois aussi dans leurs mains des poupées. Mais la simple nature en fait tous les frais : un chiffon blanc est serré d’une ficelle ou d’un cordonnet, et voilà une tête façonnée ; quelques brins de chanvre ou de crin constituent la chevelure ; un petit morceau d’étoffe rouge plié en deux sur cette perruque et rattaché avec deux épingles est le capulet de la mounaquo (poupée) ; de la jupe, du corset, du tablier, de la quenouille, la matière et la forme sont à l’avenant. Me promenant un jour aux environs de la ville, je contemplais avec admiration, sur le bord de la route, une petite paysanne d’environ six ans, qui portait dans ses bras, avec un air de ravissement presque religieux, un de ces grossiers joujoux. Son œil, qui chercha le mien, semblait dire : « Que je suis heureuse ! » Bientôt, par un sentier détourné, débouche sur la grande route une gouvernante escortant deux fillettes chargées de magnifiques poupées à ressort : la petite paysanne fit quelques pas vers elles et admira tout d’abord les toilettes des jolies citadines ; elle s’approcha davantage, pour voir quels étaient ces beaux objets que les demoiselles secouaient en riant. Elle n’en pouvait croire ses yeux : des poupées ainsi faites et ainsi parées ! Elle devint rouge comme une cerise ; sur ses yeux glissèrent un nuage de tristesse, un éclair d’envie, et peut-être une larme ; toute honteuse, et sans souffler mot, elle tourna les talons et se retira lentement vers sa chaumière, d’où elle se mit à regarder, d’une petite lucarne, les demoiselles et leurs poupées qui s’éloignaient. N’est-ce pas ici l’histoire de bien des petites filles de la ville ?

Rien aussi de plus fait pour enniaiser les petites filles que ces récréations trop sérieuses, dont les poupées sont le prétexte et les instruments. Avec les poupées, elles jouent aux dames, aux bonnes, aux