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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

d’un homme et sa destinée. Non pas que son esprit fût exempt de superstitions : mais il n’avait pas celle-là. Ce n’est pas de là que lui vient cet effroi d’une mort violente qu’il laisse voir dans l’Amphithéâtre et ailleurs encore[1] : c’est de l’astrologie. Il en est engoué, comme le furent dans son siècle, et particulièrement dans son pays, tant d’esprits au-dessus du commun. On l’était aussi, à ce qu’il semble, dans sa famille même, sinon son père, au moins sa mère et sa tante, cette aimable Isabelle, si belle et si sage[2], dont le souvenir fut toujours une joie pour son imagination. Elles paraissent avoir mis une complaisance singulière à lui raconter par le menu l’évènement de sa naissance. Si son corps n’a pas de signes, c’est à sa mère qu’il le doit : vers la fin de sa grossesse, il se trouva qu’elle eut envie de fruits qui n’étaient plus de saison ; déjà elle en sentait la saveur dans sa bouche… mais elle cracha, moyennant quoi le péril fut écarté[3]. — Autre histoire. Quand elle accoucha, dans les premiers jours de février 1586, la lune était dans son plein ! — Ce n’est pas grande merveille ; mais cette circonstance, indifférente pour tout autre, ne l’était pas pour Vanini. Il y revient souvent. Voilà pour lui la cause de la mobilité de son esprit. S’il lui arrive de se contredire, on voit bien, dit-il, que la lune était là quand je suis venu au monde ; et il ajoute, par allusion à celui qui réglait les courses de chars dans l’antiquité : C’est elle qui m’a donné le départ, « Luna aphêta[4]. » — Il ne s’en tient pas à ces révélations domestiques. Jeune homme, quand il s’est imbu de l’esprit de Pomponace, il s’enquiert des astres qui versent leur influence sur sa province d’Apulie. Il apprend de Ptolémée et il répète avec quelque orgueil qu’elle est soumise au Lion et au Soleil[5], et que par conséquent l’amour de l’excellent, les sentiments de la bienveillance et de l’amitié animent ceux qui y sont nés. Il pousse plus loin ses recherches : il veut savoir l’état du ciel au moment de sa naissance : — Mars était-il alors, comme il semble, dans la huitième maison[6] ? L’horoscope serait terrible ! une mort affreuse l’attendrait. Il veut douter de ses calculs ; mais un temps vient, temps critique pour lui, plein d’anxiétés cruelles, où il retrouve dans sa mémoire la fatale menace de l’astrologie.

Ces craintes du moins ne troublèrent pas son enfance ; elle fut heureuse. Les tendresses de deux femmes aimantes, les contes et la bonne humeur d’un vieux père, le chinât si doux, la mer si voisine, ce charme particulier que mêle la campagne aux impressions du premier âge et que ne connaissent pas les enfants des villes,

  1. Amphith., p. 25.
  2. De arcan.. p. 259.
  3. Amphith., p. 71.
  4. De arcan., p. 129, 491.
  5. Amphith., p. 74.
  6. Amphith, p. 25.