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les déguisements, qui peuvent exciter la joie de leurs semblables, comme ils expriment leur propre joie. L’instinct du jeu n’est donc pas spécial à l’homme, et il ne faut pas s’étonner que cette forme héréditaire du sens poétique se manifeste chez le tout jeune enfant par sa tendance à tout imiter, à tout essayer, à tout dramatiser, pour son plaisir et celui des autres.

Un enfant de trois mois, dont j’ai déjà eu occasion de parler, s’agitait des quatre membres, et poussait des cris d’admiration et de bonheur, en voyant sa sœur se jeter précipitamment un mouchoir ou un tablier sur le visage ; un autre, à l’âge de cinq mois, répétait devant des personnes en visite les jeux qui avaient pu amuser ses parents. Chez tous les enfants se montre aussi, à un degré variable, la tendance à faire des singeries, des drôleries, à dire des inepties, à prononcer des syllabes baroques, pour amuser le monde, et surtout pour se concilier l’admiration des étrangers qui les intimident. J’en connais deux, dont l’aîné a déjà plus de trois ans, que cette manie rend parfois insupportables ; la présence de visiteurs les excite au point qu’on est obligé de les expulser du salon. L’aîné, en particulier, ne fait pas un geste sans regarder la personne étrangère ; il semble croire qu’elle n’a des yeux et des oreilles que pour lui, qu’elle n’est là que pour s’occuper et rire de ses petites farces. Quoique l’imagination joyeuse de l’enfant s’exprime le plus souvent par de simples jeux, on voit donc que la plaisanterie, l’expression de la force comique, en est une manifestation fréquente.

En ce qui concerne les jeux proprement dits, Fénelon, avant Locke et l’abbé Girard, avant Herbert Spencer, conseillait de mettre les enfants, dès le premier âge, dans une grande liberté de découvrir en jouant leurs inclinations. Il pensait aussi, et avec raison, qu’il ne faut pas être en peine de leurs plaisirs. « Il nous suffit de les laisser faire, de les observer avec un visage gai, et de les modérer dès qu’ils s’échauffent trop. » Ni gêne, ni excès, une liberté surveillée. À cet égard, les mères des animaux donneraient souvent des leçons à nos mères, et surtout à nos nourrices. Dès que les petits commencent à jouer des pattes et du museau, les chiennes et les chattes leur permettent toutes sortes de mouvements, les observant avec une douce attention, mais ne partageant pas encore leurs jeux. Un peu plus tard, quand les petits un peu plus robustes gesticulent et courent avec plus d’assurance, les mères répondent à quelques-unes de leurs provocations, mais avec mesure, avec une sorte de gravité prudente, qui ne se livre pas tout entière. Bien souvent, les nourrices respectent moins leurs tendres nourrissons. Ce sont des caresses étouffantes, des risettes interminables, des pincements, des chatouil-