large de quelques centimètres ; je détachai quelques branches d’arbustes, et les enfonçai des deux côtés de cette petite tranchée ; quelques cailloux entassés servirent de piles au pont, dont le tablier fut improvisé avec le couvercle d’une boîte. Toutes ces constructions terminées, je demandai à mon neveu si c’était joli. Il me répondit : « Non, ce n’est pas bien joli. » Je ne me tins pas pour battu : j’emplis d’eau deux grands seaux, et le contenu, déversé lentement en amont, produisit en aval un écoulement assez régulier, que je qualifiai de rivière : l’admiration de mon neveu était toujours réfractaire. Je fis alors deux bateaux en papier, que je lançai sur un nouveau filet d’eau, et qui naviguèrent avec plus de rapidité que de rectitude entre les deux rives. Mon neveu, qui aimait fort les bateaux, se hâta d’en saisir un, et le mit lui-même sur le lit maintenant desséché du fleuve : je produisis un nouveau torrent, qui. trop fort, submergea la frêle embarcation. Mon neveu s’écria : « Mais il n’y a pas des bateaux sur l’Adour ! Et ils ne vont pas ainsi sur la Garonne ! Non ce n’est pas amusant, tonton. » Je crus inutile d’insister, et je piétinai en riant sur mon maladroit essai de construction enfantine. J’avais appris cependant qu’il vaut mieux laisser libre l’initiative des enfants que de les forcer à s’intéresser aux imitations que nous faisons de leurs actes. En outre, cette expérience, et d’autres pareilles m’ont appris que, si leurs constructions sont surtout personnelles, elles sont aussi la marque d’un idéal d’expression et d’une force poétique très restreints.
L’instinct musical. — Il est évidemment inné, et par conséquent ne fait défaut à personne. Il y a des individus comme il y a des races mieux doués que d’autres sous ce rapport ; mais je crois que, dans une certaine mesure, tout enfant est « né musicien » ou le deviendra, s’il entend de la musique à l’âge où rien ne se perd des impressions reçues. Je sais bien que le rythme, cette forme élémentaire de la musique, peut se produire avec des bruits, et cette musique suffit à plusieurs animaux, à peu de chose près au sauvage, et au civilisé dans les premiers mois. Mais on peut, dès les cinq ou six premiers mois, constater aussi chez beaucoup d’enfants la tendance à répéter le son qu’ils entendent, à « prendre l’unisson ». On cite, il est vrai bien des exemple d’infirmité absolue de l’oreille et de la voix. Dernièrement, M. Grant Allen[1] a publié une observation concernant un jeune homme très instruit, mais si mal doué quant à la perception des
- ↑ Voir l’analyse de cette observation dans la Revue philosophique, tome V p. 574.