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perez. — l’Éducation du sens esthétique

semblables, que des enfants, même âgés de quatre ans, ignorent souvent ou ne savent que très mal, mais sur lesquelles un enfant de deux à trois ans, élevé d’après la méthode Frœbel bien comprise et bien adaptée, sait en la manière qu’il les a vues ? Non, toutes ces choses utiles, vraies, ne manquent pas de fournir à son esprit des images charmantes, et à son cœur des émotions saines. Pour ceux qui, malgré tout, s’obstineront à craindre que l’utilitarisme, ou plutôt le sérieux de cette éducation scientifique appropriée, ne fasse tort à la sensibilité esthétique, j’ajouterai : l’homme est-il fait pour l’art, ou l’art pour l’homme ? S’il est vrai que plus on sait, moins on admire, au moins l’on sait ce qu’on admire et pourquoi ; et d’ailleurs admirer est le luxe d’une vie bien réglée : connaître ce qui est utile pour soi et pour ses semblables, l’aimer, le vouloir et le réaliser, voilà l’essentiel.

L’éducation du sens esthétique de l’enfant peut recevoir aussi quelque heureuse influence de ses tentatives sagement conduites d’imitation ou de création artistique. Il ne faudrait pas s’exagérer la portée de ses facultés poétiques, au point de voir en lui un artiste précoce, déjà capable de suivre des leçons de peinture et d’architecture. Cependant la moyenne des enfants commence maintenant à lire et à écrire dès l’âge de deux ans : si l’on persiste dans cette habitude, selon moi, quelque peu prématurée, il y aurait tout avantage à faire du dessin d’imitation, expression concrète des choses, le prélude de l’écriture, dessin abstrait des sons et des idées. Mais il n’y a pas de règle, même très large, à fixer quant à l’âge. J’ai vu plusieurs enfants âgés d’environ deux ans, qui, à l’imitation de leurs parents ou de leurs frères, étaient parvenus, tout en se jouant, et par des exercices d’un quart d’heure par jour pendant quelques semaines, à produire des barbouillages ayant un faux air de dessin. Des crayons noirs, blancs, bleus, jaunes, rouges, étaient laissés à leur disposition. Leurs maladroites mains les manipulaient de la façon la plus fantaisiste : ils les saisissaient comme le manche de leurs pelles de bois, et s’en servaient si bien, que tout en appuyant sur le papier de toutes leurs forces ils réussissaient plus souvent à y laisser des déchirures que des empreintes. On dessinait devant eux, et toujours d’après nature, des personnes, des animaux, des maisons, des plantes, des arbres. Ils regardaient très rapidement la représentation de ces objets, très rapidement aussi rayaient leur papier, de haut en bas, de droite à gauche, produisant des lignes brisées, tortueuses, touffues, inextricables ; et s’écriaient, avec un sérieux comique : « Moi aussi j’ai fait un chien, un arbre, une maison ! » Cela ne ressemblait, à la vérité, pas plus à un chien qu’à un arbre ou à une maison.