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perez. — l’Éducation du sens esthétique

Les faits et les considérations qui précèdent peuvent nous guider dans la recherche des moyens propres à développer chez les petits enfants l’instinct du beau.

Il y a, dans la faculté de sentir le beau, un élément toujours insaisissable, et qui doit être le plus fort et le plus persistant, celui qui a été transmis très développé par les ascendants. En vertu de cette influence inobservable dans ses causes immédiates, il nous arrivera souvent de voir l’enfant éprouver une admiration qui nous surprend. Qu’y a-t-il à faire à l’égard de cette mystérieuse tendance, fort variable chez les individus d’une même race, aussi variable que le sont les intelligences et les visages individuels ? Observer, et attendre ; observer, même chez le petit muet, les gestes, les cris et les mouvements, dont la facilité et la persistance accusent des tendances très caractérisées, et les noter pour s’en souvenir à l’époque où une direction des facultés plus développées sera plus facile. Par exemple, si l’enfant de dix ou de quinze mois paraît admirer, à première vue, des personnes ou des objets pour nous laids ou beaux, des couleurs vives ou ternes, des visages expressifs ou insignifiants, cela est bon à noter comme marque d’une infériorité relative du sens esthétique. On pourra peut-être, par un exercice approprié et gradué, le relever jusqu’à un certain point de cette incapacité. Mais prétendre imposer au petit enfant, par la force des impressions journalières, des tendances esthétiques dont il ne paraît pas pourvu, c’est une rêverie dont j’ai plus haut fait justice. On perdrait son temps et celui de l’enfant à vouloir former ou perfectionner une faculté qu’il n’a pas, ou qu’il n’a pas encore, en le faisant vivre, dès le berceau, au milieu des choses belles, je dis belles pour vous, ou pour moi.

Je dis plus, je crois qu’il importe au développement du sens esthétique que l’enfant, dès le principe, voie également le beau et le laid, tout ce qui s’offre à lui. D’un côté, la plupart de ces impressions passent à côté de lui, et sont par conséquent indifférentes à l’éducation de ses facultés esthétiques. D’autre part, quand elles remuent en lui quelque fibre et laissent dans son cerveau quelque trace, toutes ces expériences lui fournissent matière à des comparaisons et à des jugements d’où sortiront son goût et son impressionnabilité esthétique. Le choix se fera la plupart du temps spontanément, par voie de sélection naturelle. Souvent aussi, et dès que l’enfant s’essaie à imiter et à s’approprier nos formules et nos jugements, on pourra contrôler ce choix. Pur exemple, une mère a pris l’habitude, depuis que son enfant a l’usage de la parole, de ne lui dire : « Cela est beau » qu’à propos des objets réellement beaux pour elle ou