Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/588

Cette page n’a pas encore été corrigée
582
revue philosophique

par les générations qui s’en vont, sans faux respect ni ménagement pour les erreurs remplacées ; jl ne lui suffit pas que la lumière entre par quelque fissure secrète, il ouvre portes et fenêtres pour la répandre plus largement. Je ne vois pas, je l’avoue, en quoi l’absurdité des uns peut être utile à la rectitude d’esprit des autres ; en quoi il serait nécessaire de commencer par penser faux pour arriver à penser juste, et de faire partir l’esprit de plus bas pour le faire arriver plus haut. Si les contes de fées sont bons pour les enfants, du moins a-t-on soin qu’ils ne les prennent pas trop au sérieux. Ne prenons pas non plus au sérieux les religions vieillies, ne les regardons pas avec trop de complaisance et de tendresse ; si elles peuvent être encore pour nous un objet d’admiration quand nous les replaçons par la pensée dans le milieu où elles ont pris naissance, qu’il n’en soit plus ainsi lorsqu’elles cherchent à se perpétuer dans le milieu moderne qui n’est plus fait pour elles ; respectables dans le lointain des âges où elles ont vécu, elles ressemblent à ces globes perdus dans le ciel qui étaient des astres autrefois ; maintenant éteints, ils peuvent parfois cacher à nos yeux le vrai soleil : sachons regarder plus loin qu’eux.

Nous avons dit que les religions avaient pour origine la superstition, étaient des superstitions systématisées et organisées. Nous ajouterons que, pour nous, la superstition consiste dans une induction scientifique mal menée, dans un effort infructueux de la raison ; nous ne voudrions pas qu’on entendît par là la simple fantaisie de l’imagination, et qu’on crût que, selon nous, les religions ont leur principe dans une sorte de jeu de hasard de l’esprit. Combien de fois a-t-on attribué ainsi la naissance des religions à un prétendu besoin du merveilleux, de l’extraordinaire, qui saisit les peuples jeunes comme les enfants ! C’est là une explication bien artificielle d’une tendance plus naturelle et plus profonde. À vrai dire, ce que les peuples primitifs ont cherché en imaginant les diverses religions, c’était tout simplement une explication, et l’explication la moins étonnante, la plus conforme à leur intelligence encore grossière, la plus rationnelle pour eux. Il était infiniment moins merveilleux pour un ancien de supposer le tonnerre lancé par la main de Rudra ou de Jupiter que de le croire produit par une certaine force appelée électricité ; le mythe était une explication beaucoup plus satisfaisante ; c’était ce qu’on pouvait trouver de plus plausible, étant donné le milieu intellectuel d’alors. Si donc la science consiste à lier les choses entre elles, on peut dire que Jupiter ou Jéhovah étaient des essais de conceptions scientifiques. C’est maintenant qu’ils ne le sont plus, parce qu’on a découvert des forces naturelles et régulières qui ren-