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guyau. — de l’origine des religions

l’adorer en silence. La religion, qui a fait les dieux, peut leur survivre.

Presque à l’antipode de M. Max Müller se trouve son illustre compatriote M. Herbert Spencer, qui regarde les dieux comme de simples héros transfigurés par le souvenir, ramène la religion au culte des ancêtres, et ainsi nie d’une manière implicite que le sentiment du divin ou de l’infini nous soit fourni directement par les sens. Néanmoins tous deux, malgré de telles divergences, s’accordent à rejeter la théorie qui attribue la naissance des religions à l’étonnement que l’homme éprouve en face de certains phénomènes, au besoin d’explication qui le saisit et qui le pousse à placer derrière les choses des volontés semblables à la sienne.

D’après M. Max Müller, on ne peut comparer le sauvage à l’enfant qui prend sa poupée bien habillée pour un être vivant, qui frappe la porte à laquelle il s’est heurté ; le sauvage n’est pas aussi naïf. Il distingue parfaitement l’animé de l’inanimé. De même, d’après M. Herbert Spencer, l’homme primitif n’est pas, comme l’enfant moderne, occupé à demander le pourquoi de toutes choses ; il accepte ce qu’il voit, comme fait l’animal ; il s’adapte spontanément au monde qui l’entoure ; l’étonnement est au-dessus de lui. Accoutumé à la régularité de la nature, il attend patiemment la succession des phénomènes qu’il a déjà observés : l’habitude étouffe chez lui l’intelligence.

La thèse soutenue à la fois, et dans un but tout opposé, par MM. Max Müller et Herbert Spencer, nous semble difficile à défendre longtemps. Le premier point ici, c’est de savoir si la distinction entre les choses animées et inanimées est bien nette chez l’homme primitif ; si tous les objets de la nature sont rangés par lui en deux classes distinctes, sans confusion possible. Or ceci nous semble vraiment insoutenable. Comment distinguer ce qui dort de ce qui est inanimé ? Perpétuellement, les objets inertes offrent l’apparence de la vie, et les objets vivants de l’inertie. Je me rappelle la surprise d’un très jeune chat le jour où il vit, par une tempête, toutes les feuilles mortes se lever autour de lui et se mettre à courir ; il se sauva d’abord, puis il revint, poursuivit les feuilles ; il les sentait, les palpait. Ajoutons que les animaux et les sauvages sont très lents à revenir de leurs erreurs, gardent même longtemps un sentiment de défiance envers ce qui les a trompés : un chien, rentrant le soir à la maison, aperçut à une place inaccoutumée un tonneau vide ; il eut une peur extrême, aboya longtemps ; au jour seulement, il osa approcher assez près de l’objet de son épouvante, l’examina, tourna autour et finit, comme les grenouilles de La Fontaine, par reconnaître que ce soliveau était inoffensif. Si le tonneau en question