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guyau. — de l’origine des religions

leur, de plus pur, de plus vrai que ce qu’ils trouvent dans les rites, les offices, les sermons des temps où le hasard les a jetés. »


II


Le récent volume de M. Max Müller, dont nous venons de donner cette rapide esquisse, est vraiment digne de ce qu’on pouvait attendre du grand philologue : c’est la vue d’ensemble la plus complète que nous ayons sur le développement de la religion aux Indes ; tout est suggestif dans ce livre, même ce dont on pourrait quelquefois contester l’exactitude.

Parmi ce qui nous a paru à la fois le plus ingénieux et le plus contestable, nous citerons le paragraphe consacré à la divinité védique Aditi, l’un des noms de l’aurore. On a vu que M. Max Müller rapporte l’origine de la religion à l’idée d’infini ; il croit trouver dans le Véda une confirmation inattendue de cette hypothèse. « Vous serez surpris, dit-il, comme je l’ai été moi-même la première fois que le fait s’est présenté à moi, quand je vous dirai qu’il y a réellement dans le Véda une divinité appelée l’Infini, Aditi. Aditi dérive de diti et de la négation a. Diti est un dérivé régulier de la « racine (dyati), lier, d’où le participe dita, lié, et le substantif diti, « action a de lier » et « lien ». Aditi a donc signifié d’abord « qui est sans lien, non enchaîné, non enfermé », d’où : « sans limites, infini, l’Infini. » — Cette étymologie nous semble très propre à montrer au contraire que l’idée d’infini n’est point primitive et que, lorsque les Hindous ont pour la première fois invoqué l’aurore sous le nom d’Aditi, ils étaient fort loin de penser au fini ou à l’infini. La nuit était pour eux une prison, le jour la délivrance. On sait qu’ils figuraient les journées sous l’image de vaches lumineuses qui sortent lentement de l’étable nocturne pour s’avancer à travers les prairies du ciel et de la terre. Ces vaches sont dérobées parfois, enfermées par des voleurs dans des cavernes sombres ; l’Aurore elle-même est retenue dans les abimes du Rita : alors la nuit menace de régner sans fin ; mais les dieux se mettent en quête ; Indra arrive, délivre l’Aurore ; avec son aide, on retrouve les vaches mugissantes, qui, du fond des cavernes, appellent la liberté. Il me semble qu’en s’inspirant de ces antiques légendes il est facile de déterminer le sens primitif d’Aditi : c’est l’aurore qui, retenue on ne sait où, réussit tout à coup à faire tomber ses liens et, radieuse, apparaît dans le ciel grand ouvert ; délivrée, elle délivre tout, elle brise le cachot dans lequel la nuit avait plongé le monde. Aditi, c’est l’aurore libre et en même temps libératrice.