livre de Job. « Me voici, ô mon adorateur ! Regarde-moi, me voici ! en grandeur je dépasse toute créature. » Mais la foi du poète et du penseur ne se ranime que pour un instant ; nous entrons dans une période de doute que M. Max Müller désigne sous le nom d’adévisme et qu’il distingue soigneusement de l’athéisme proprement dit ; les Hindous en effet ne rejettent pas l’idée même de Dieu, le θεός des Grecs ; seulement ils cherchent ce Dieu par delà toutes les divinités personnelles et capricieuses qu’ils avaient adorées jusqu’alors ; toutes ces divinités ne sont plus pour eux que des noms, mais des noms qui nomment quelque chose, quelque être inconnu. « Il n’y a qu’un être, bien que les poètes l’appellent de mille noms. » Bouddha lui-même, qui vint plus tard et qui ne fit que développer des tendances déjà existantes dans le brahmanisme, n’était pas athée, selon M. Max Müller. L’adévisme ne fut pour l’Inde, à quelques exceptions près, qu’une période de transition, et ce grand peuple la traversa pour s’élever plus haut. Pourtant quelle anxiété, quelle incertitude dans certains hymnes qui appartiennent sans doute à cette époque inquiète ! Les poètes védiques y cessent de glorifier le ciel et l’aurore ; ils ne célèbrent plus la vaillance d’Indra, ou la sagesse de Viçvakarman et de Prajâpati. « Ils vont, disent-ils eux-mêmes, comme enveloppés d’un brouillard et de paroles vides. » — « Mes oreilles s’évanouissent, dit un autre, mes yeux s’évanouissent, et aussi la lumière qui habite dans mon cœur ; mon âme, avec ses aspirations lointaines, m’abandonne ; que dirai-je ? que penserai-je ? » — « D’où vient cette création, et si elle est l’œuvre d’un créateur ou non, — celui qui contemple du haut du firmament, celui-là le sait. Peut-être lui-même ne le sait-il pas. » (Rig., X, 129.) Quelle profondeur dans ce dernier mot, et comme dès cette époque le problème de la création avait été sondé par l’esprit humain ! Mais l’évolution d’idées qu’indiquent ces passages des hymnes se continue, s’achève dans les Upanishads, qui sont les dernières œuvres de la littérature védique et où toute la philosophie religieuse de la période védique se trouve condensée. Après avoir longtemps cherché, l’Hindou croit pouvoir s’écrier enfin : J’ai trouvé. M. Max Müller nous cite l’étonnant dialogue entre Prajâpati et Indra où ce dernier acquiert après un long effort la connaissance de ce « moi caché dans le cœur », de l’Atman, que Kant appellera le « moi nouménal ». Indra croit d’abord voir ce moi en apercevant son image dans l’eau, son corps couvert de vêtements brillants. Mais non ; car, quand le corps souffre ou périt, l’Atman périrait. « Je ne vois rien de bon dans cette doctrine. » Ensuite Indra croit que l’Atman se révèle dans le rêve, dans cet état où l’esprit flotte en
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