idées se sont propagées dans un cercle de plus en plus étendu ; un plus grand nombre d’esprits y ont participé, les ont reçues et par elles ont été provoqués à la réflexion, mais le résultat était fatal. Le sens précis, concret, des termes et des idées s’est obscurci ; le sens fixe et primitif s’est évanoui, et le côté spécifique s’est émoussé. L’obscurité et l’incertitude étaient inévitables. Nous souffrons précisément de cette confusion de langage ; nous ne pouvons plus nous entendre sur ce qu’il y a de plus essentiel et de plus intime dans les idées, et nous tombons à la fois dans le danger d’un isolement intellectuel des individus et d’un nivellement général.
« Mais ce qui est encore plus dangereux que cet état de choses en lui-même, c’est la vanité qu’engendre une telle situation. On pourrait se résigner encore à mettre quelque temps de côté avec les idées philosophiques les termes philosophiques. Ce serait encore plus aisé à supporter que de voir l’insuffisance et la confusion s’emparer violemment de la domination du monde, les idées philosophiquement vides surgir avec la prétention de satisfaire tous les besoins de la vie spirituelle. Le courant de l’esprit actuel a emporté le fond réel de la philosophie spéculative allemande ; il ne reste pas moins sous la dépendance de ses tendances et de ses formes. Si nous considérons les idées, les termes et les formules qui dans la vie générale révèlent la force d’attraction la plus grande, on ne saurait spécialement méconnaître l’influence durable de Hegel. Seulement ce n’est pas l’hégélianisme primitif, mais un hégélianisme introduit dans les formes ordinaires de la pensée réfléchie et dépouillées de leur contenu spéculatif, un hégélianisme retourné, perverti, comme on a coutume de l’appeler. Nous avons au plus haut degré le culte des abstractions, que nous révérons comme des divinités. S’enthousiasmer pour le développement et le progrès sans nous demander ce que contient ce progrès, pour le monisme sans savoir clairement ce qui doit être unifié, pour l’immanence sans définir d’une façon précise ce qui doit résider dans le monde, rien ne nous est plus facile. Si l’on y regarde de plus près, on voit que la pensée tourne dans un cercle, et si l’on cherche à donner aux idées une signification plus précise alors, comme au début de la philosophie du xviiie siècle, on découvre au fond un naturalisme spécifique ; mais la forme qui appartient à la philosophie spéculative et ne peut s’en séparer se trouve en parfaite contradiction avec le fond. »
On trouvera sans doute ce tableau un peu sombre ; il n’a rien de bien flatteur en effet pour la philosophie contemporaine. Cependant on aurait tort de voir dans celui qui a écrit ces lignes un esprit chagrin qui incline au pessimisme et qui manque de confiance dans l’avenir. Ses dernières paroles sont faites plutôt pour nous rassurer.
« Certes, un pareil spectacle n’a rien de réjouissant ; mais nous croyons qu’on ne doit pas se laisser aller à l’exagération. D’un décourageant pessimisme doit être préservé celui qui a appris à considérer les choses non d’après les résultats et les dispositions du temps pré-