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de cette langue de notre grand philosophe, qui fut, quoique nos voisins l’aient quelquefois contesté, le vrai fondateur de la philosophie moderne.

« Avec Descartes commence dans la terminologie un mouvement général et progressif. Par sa méthode, le point de départ et le but de la recherche philosophique ont été assurés, et ainsi un nouveau monde intellectuel a commencé à s’ouvrir ; dès lors, l’expression aussi devait être comprise dans ce mouvement, transformée et développée ; les tendances caractéristiques de l’esprit moderne se dessinent maintenant avec plus de clarté. Partout, l’intérêt s’éveille au sujet du langage. Que la pensée doive conserver vis-à-vis de lui sa prépondérance, l’accord sur ce point est unanime ; mais on reconnaît aussi que de l’insuffisance du langage ordinaire naissent une foule d’erreurs et de disputes. Comment pourrait-il satisfaire aux exigences de la science ? Les mots donnés aux choses le sont par de véritables enfants ; ils doivent leur excellence à l’imagination, non à l’intellect. (Voy. Desc, resp. V, ép. I, 116. — Spinoza, De intell, emend., 49, schol.)

« Quand l’effort de la pensée se trouve diversement contrarié dans ses tendances par les expressions traditionnelles et surannées, on est porté à exagérer l’importance du langage. Il semble quelquefois que, dans le combat pour la vérité, la première place appartient aux mots, et que, par la réforme du langage, les problèmes réels seraient résolus. Une pareille erreur, inévitable dans la lutte de l’esprit nouveau, avait au moins cet avantage d’appeler l’attention sur le langage philosophique. Nous trouvons partout un effort pour arriver à une désignation claire, précise et rigoureusement, substantielle. Vient-on à considérer le langage comme un instrument de la pensée abstraite, l’idée d’une langue philosophique universelle n’est pas loin. C’est chez Descartes que cette idée s’est produite pour la première fois clairement[1]. Chez Leibnitz, émanée de convictions philosophiques très profondes, elle a pris un développement plus large. — Comme il s’agit ici de personnages du premier ordre et qui offrent un caractère tout à fait original, nous devons entrer dans plus de détails.

« Dans Descartes se montre ce caractère particulier de l’esprit français de faire table rase de tout le passé vieilli, et qui traîne encore dans le présent, de se débarrasser de tout le fatras historique, sans regarder en arrière ni en avant, par là, de rendre libres les forces de l’esprit et de provoquer son activité immédiate. Ce n’est pas par un long examen que Descartes combat la terminologie scolastique. Il la laisse de côté. Ces distinctions établies avec tant d’art, simplement il les rejette. C’est chez lui une chose particulièrement remarquable que l’abandon de ces distinctions. Comme il voyait en elles une raison principale de la stérilité des travaux de la scolastique, il prit une résolution déci-

  1. Il n’espère pas toutefois la voir appliquer. Ne speres unquam visurum in usu ; id magnas in orbe mutationes suppont, essetque necesse totum orbem in terrestrem paradisum converti (Ep. I, iii).