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trui, c’est se rendre le plus souvent service à soi-même. Cette autorité, qui s’exerce en faisant du bien aux autres pour obtenir ce dont on a besoin, constitue le pouvoir spirituel. En revanche, qui ne veut rien faire pour autrui n’a même pas droit à l’existence. — Comment le pouvoir spirituel s’exercera-t-il dans l’intérêt de tous, et non d’un seul ou de quelques-uns ? À la condition que le peuple, qui a la force physique, mais non la force morale, délègue, pour le représenter, ceux qui possèdent cette dernière espèce de force. Toutefois le système de la représentation n’est qu’un expédient, et qui aboutit aisément au despotisme de la majorité représentative, lorsqu’il n’est point tempéré par le principe de la délégation, des mandats définis et restreints. — C’est dire assez que M. B. de La Fléchère est hostile à la politique autoritaire. Seulement, il paraît être de ces libéraux qui, au grand danger de la liberté même, veulent réduire l’État à de simples attributions de police, et qui, sous prétexte qu’en fin de compte le progrès l’emporte nécessairement, laissent à la « force des choses », en vertu de leur optimisme fataliste, le soin d’éliminer tôt ou tard les éléments antisociaux.

Ici se terminent les prolégomènes les plus généraux de l’ouvrage. Nous entrons dans la philosophie du droit.

Philosophie du droit. — La vengeance illimitée est la première manifestation du droit. Mais bientôt les hommes comprennent qu’ils sont intéressés à poser des limites au désir que nous avons tous naturellement de supprimer ce qui nous nuit. Les plus forts — les volontés dominantes — ont eux-mêmes intérêt à ménager les plus faibles, — les volontés servantes. De ces ménagements réciproques résulte le droit social.

Le droit, impliquant le pouvoir de faire ce qu’on veut (dans la mesure de son droit) et limitant en ce point le pouvoir d’autrui, peut être défini : la négation d’une volonté par l’affirmation d’une autre. De ces deux aspects négatif et positif du droit, l’aspect négatif est celui que l’antiquité a considéré de préférence : les anciens voyaient surtout dans le droit un obstacle à la volonté ; au contraire, les modernes, plus individualistes, voient plutôt dans le droit le côté par où il donne carrière à nos désirs. C’est au point de vue antique qu’il faut se placer pour comprendre la différence de l’utile et du juste, de la morale et du droit.

L’utile est l’avantage immédiat, par opposition au juste, qui peut faire attendre longtemps sa récompense. Au besoin immédiatement utile, il est juste de préférer un autre besoin dont la satisfaction sera tardive, mais plus grande. D’après le même principe, le juste ou le droit nous apparaît comme l’avantage et la volonté du plus fort, que notre intérêt définitif est de respecter. Autre différence : l’utile est ce qui est avantageux pour telle personne en particulier, par opposition aux règles générales, qui constituent le juste. C’est ainsi qu’avec les progrès de la civilisation on apprend à déroger aux règles générales par des dispositions spéciales prises, comme disent les Romains, non par des