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delbœuf. — le sommeil et les rêves

une bonne fois reconnue, il ne convient à personne d’avoir une persuasion scientifique absolue et sans réserve concernant aucune vérité, quelle qu’elle soit. Certes, s’il s’agit de la foi subjective, il nous est impossible de la refuser à ce qui s’impose momentanément à nous, même à l’erreur. Cette foi vulgaire et toute pratique exclut l’hésitation. Mais s’il s’agit de l’adhésion réfléchie, il y a toujours une place, et nous devons laisser une place pour le doute. Il n’y a pas de proposition, si certaine que nous la jugions, qui ne puisse être l’objet d’un doute. Ce doute, qui s’allie parfaitement avec la certitude, est le doute spéculatif. C’est un doute spéculatif qu’émettait Descartes quand, en écrivant ses Méditations, il se demandait s’il ne rêvait pas. Le doute, comme on le voit, est non seulement conciliable avec la conviction consciente et raisonnée, mais il ne peut même exister qu’avec elle. Si Descartes n’eût pas été pleinement éveillé et s’il n’eût été absolument certain de l’être, il ne se fût pas posé la question dans le sens qu’il lui donnait. Sosie et Gilles le savetier n’auraient pas douté d’eux-mêmes s’ils n’avaient été dans leur bon sens.

Le doute spéculatif, en effet, n’est pas un doute sincère, un doute vrai, comme en éprouve maintes fois l’homme éveillé, aussi bien que l’homme qui dort et le fou. C’est un doute tout théorique, qui porte sur des choses dont, au fond, on ne doute nullement, et qui se justifie par des considérations générales et supérieures. Ce doute, dont le sentiment n’est pas dupe, est l’apanage de l’esprit en pleine possession de sa raison, et est en même temps le signe distinctif suffisant et absolu de la certitude raisonnée.

Cette conclusion est, à première vue, étrange, et, à certains esprits, elle paraîtra désolante. Elle pourra servir de nouveau thème aux philosophes désespérés et désespérants, qui en prendront texte pour faire de l’homme un Tantale altéré de vérité. Telle n’est pas notre destinée. Plongés dans l’océan inépuisable de la vérité, il ne nous est pas interdit d’y rafraîchir nos lèvres. Sans doute, si l’on considère toute science humaine comme une collection de vérités, de faussetés et d’obscurités juxtaposées et sans influence les unes sur les autres, et si, par conséquent, on assigne pour but à l’intelligence d’augmenter sans cesse la somme du vrai et de restreindre le champ de l’erreur et de l’inconnu, du jour où l’on s’aperçoit qu’on ne peut rien connaître de certain, on doit se laisser saisir par le découragement et aspirer après l’anéantissement de la pensée. Mais rassurons-nous et consolons-nous. Si la certitude absolue nous échappe et nous échappera toujours, la certitude relative et indéfiniment progressive, la seule accessible à notre raison finie, doit suffire à notre ambition et est de nature à la satisfaire. La vérité est une. Il n’y a