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delbœuf. — le sommeil et les rêves

les voit, tout le monde peut les toucher ; celles qui sont dans mon imagination sont inaccessibles pour tous, excepté pour moi.

Donc, en matière de perceptions et de conceptions, le témoignage des autres hommes est le seul critérium qui puisse nous guider. Mais ce critérium n’est malheureusement pas infaillible. N’arrive-t-il pas quelquefois que des populations entières voient des apparitions merveilleuses ? Dans son livre si instructif intitulé De l’étude de la nature[1], M. Houzeau, directeur de l’observatoire de Bruxelles, cite les lampes sépulcrales, déposées par les Romains dans leurs tombeaux, et que de nombreux témoins affirmaient avoir vues brûler encore, lorsque l’intérieur des tombes était mis au jour. Voilà un fait parfaitement impossible, et, au reste, bien facile à constater. Or, que lisons-nous, par exemple, dans les procès-verbaux de l’ouverture d’un sépulcre romain dans l’île de Nisida, près de Naples, et réunis par Porta[2] ? « Des hommes graves, honorés, appartenant à différentes professions, dit M. Houzeau, entre autres un magistrat renommé, attestent, pour l’avoir vu de leurs yeux et de la manière la plus authentique et la plus absolue, des miracles chimiques qui n’étaient pour eux qu’un secret perdu. » En plein xviiie siècle, les miracles du diacre Paris sont appuyés d’un ensemble de preuves dont les événements historiques les mieux établis pourraient difficilement faire étalage. Enfin, ce qui est plus fort, ne voyons-nous pas de nos jours des philosophes, des savants, des naturalistes, des Fechner, des Zöllner, des Ulrici, des Wallace se laisser mystifier par les jongleries spirites d’un docteur Slade ?

Cependant, en thèse générale, les idées d’un fou en tant que fou sont incommunicables, elles ne savent pas s’imposer à d’autres ; aussi est-il toujours disposé à regarder comme des insensés ses compagnons d’infortune, ou comme des gens bornés ou aveuglés les visiteurs du dehors. Et, néanmoins, une réflexion ultérieure nous rejette dans la perplexité. Que d’hommes de génie se sont vus traiter de fous par de beaucoup moins sages qu’eux ! Pour ne rappeler qu’un exemple pris dans l’histoire contemporaine, que d’illustres personnages n’ont pas au début voulu croire à l’avenir des chemins de fer ni même à leur mise en pratique ? Et si les maisons de santé abritent des inventeurs du mouvement perpétuel et autres machines physiquement impossibles, ne se sont-elles pas aussi parfois refermées sur un rêveur sublime ? D’où ce dicton, absurde au fond, mais vrai pour le vulgaire, que le génie et la folie ont plus d’un point de contact.

  1. Bruxelles, 1876, p. 99.
  2. Magia naturalis, grande édition de 1589, lib. XII, cité par M. Houzeau.